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N. MAVROLEO Ce 13/04/06
SOUVENIRS, SOUVENIRS (Fahatsiarovana) (suite). B) LES FRUITS DE MON ENFANCE Je reviens d’un voyage à LA REUNION et, outre l’immense plaisir de revoir mes copains, ma famille et en particulier ma sœur, j’ai aussi apprécié de pouvoir déguster des mangues, des ananas, des avocats… Et, si je n’ai pas réussi à cueillir les jamrosas entrevus sur la route de La MONTAGNE, j’ai, par contre, juste avant de revenir, pu me gaver avec les premières goyaves de Chine (les Réunionnais les dénomment goyaviers comme le plant) ramassées en bord de route sur les pentes du Piton de la Fournaise. Mes papilles ont apprécié mais, au-delà du plaisir du moment, ces saveurs ont fait ressurgir de ma mémoire tous ces fruits qui, au fil des saisons, nous permettaient de nous régaler et qui, à leur manière ont, eux aussi, contribué à embellir notre jeunesse. Dans un premier temps, j’ai commencé à les énumérer dans ma tête pour me remémorer leur forme, leur couleur et leur goût. Puis, au fur et à mesure que leurs noms me revenaient, j’ai pris conscience et de leur nombre imposant et d’anecdotes et de souvenirs que presque chacun suscitait dans ma mémoire et l’idée m’est venue de vous les livrer. Bien entendu celle-ci aura enjolivé la vérité mais
c’est la mienne et je vous livre donc tout ce qui m’est revenu
en tête au sujet de tous ces « fruits de mon enfance ». La côte Est de MADAGASCAR est soumise aux influences de la mousson ; on dit qu’à TAMATAVE il y a 2 saisons : la grande saison des petites pluies et la petite saison des grandes pluies. Pourtant c’est là que toutes les senteurs du monde se sont donné rendez- vous : vanille, girofle, café, cacao, cannelle, poivre vert…sont l’or vert de la Grande Ile. Mais toutes les richesses de ce pays de cocagne avaient, pour nous les gamins de TAMATAVE, bien moins de valeur que les arbres fruitiers, objets de nos convoitises quotidiennes. Car, dans toute la province Betsimisaraka, les fruits poussaient à profusion : mangues, papayes, litchis, ananas, hévis, caramboles, pamplemousses, mangoustans, bananes…et j’en passe. Chaque saison nous apportait une variété de douceurs différentes. Par contre il n’y avait pas ou peu de fraises, ni de pêches ou de pommes et encore moins de poires ou de raisins sinon sur les étals du marché en provenance des hauts plateaux au climat plus méditerranéen mais à des prix au-dessus des possibilités de la bourse de la plupart des familles. Mais cela ne nous gênait guère tant la nature était généreuse. Le grand moment c’était en décembre et janvier quand les mangues arrivaient à maturité ; des mangues il y en a de toutes les formes (rondes, ovales), de toutes les grosseurs ( petites comme la variété dite dragée alors que certaines peuvent peser jusqu’à 800 grammes) et de presque toutes les couleurs (verte, jaune, rouge le plus souvent) et de goûts parfois très différents ; les noms qui leur sont donnés rappellent soit leur forme (mangues carotte, navet ou dragée), soit le lieu de provenance (mangues de DIEGO ou maisons rouges), soit peut-être les premiers à en avoir vendu (mangues José, Auguste, Léonard, Lise, Lucy, Kate..). Quant à la variété « early gold »,
presque inconnue dans ma jeunesse, elle est encore surnommée mangue
américaine et elle présente une particularité :
avec un couteau on fend le fruit en son milieu puis on opère une
torsion visant à le diviser en 2 parties égales dont une
sans le noyau ce qui permet de déguster la chair avec une petite
cuillère. On retire ensuite le noyau sur l’autre moitié et
l’on finit de se régaler sans se salir les doigts. Pour ce qui concerne sa qualité, la chair de la mangue dépend : - de la présence ou non de filasses qui rend la plus ou moins facile à croquer, - d’un goût plus ou moins prononcé de térébenthine que certains adorent mais que d’autres détestent, - de sa maturité bien entendu la douceur ne venant qu’assez tardivement.
Les mangues peuvent être utilisées soit encore vertes, soit jaunes (c'est-à-dire au milieu de leur maturité), soit mûres selon ce que l’on veut préparer : - un rougail : mangues vertes débitées en petits morceaux
puis mélangées dans de l’huile avec du sel, des oignons
et du gingembre, Mais, bien entendu, rien ne vaut une bonne mangue mûre à déguster comme un simple fruit. Les plus fameuses d’entre elles « les maisons rouges » doivent leur nom à la couleur des toits de nos maisons créoles au-dessus desquelles mûrissaient les fruits. Pendant la sieste ou durant la nuit on les entendait tomber sur les tôles rouges qui couvraient les maisons et l’importance du bruit entendu était proportionnel à la grosseur du fruit ; il suffisait alors de se munir d’une « soubique » (un sac en rabane) pour les ramasser à même le sol .Pour éviter qu’elles ne soient abîmées lors de leur chute je préférais aller les cueillir au bout des branches pour les déguster à même l’arbre. Si on trouve partout des mangues en EUROPE ce ne sont jamais des « maisons rouges » et cela rend ces dernières encore plus fameuses dans mes souvenirs. En même temps, mais plus éphémères, les litchis rougissaient au soleil ; Dans ma jeunesse l’exportation des litchis ne se pratiquait pas et toute la production (moins importante qu’aujourd’hui) ne servait qu’à la seule consommation locale. Leurs branches étaient si fragiles qu’il était dangereux d’y grimper pour la cueillette ; il fallait de préférence utiliser une « gaule » sur laquelle était fixée un fil de fer en forme de lasso ; la grappe une fois prise dans ce lien il fallait alors tourner et retourner la « gaulette » comme on la nommait jusqu’à rompre son support ; il suffisait ensuite de redescendre avec délicatesse les fruits à portée de mains. Quand on soufflait dans la feuille on réalisait une sorte de petit harmonica à 2 ou 3 sons et avec les graines coupées en deux on obtenait des embouts sur lesquels on fixait une allumette pour fabriquer des toupies. Un des deux plants qui étaient dans notre cour avait poussé au-dessus de l’ancienne tinette située au fond de la cour et tous les ans il faisait l’admiration de tous tant il était couvert de fruits ! Les litchis ont deux « cousins » dont l’aspect extérieur est très différent mais qui leur ressemblent beaucoup une fois pelés ; il s’agit des litchis chinois et des longanis. Les litchis chinois sont plus gros et couverts de poils d’où leur nom de « litchis chevelus » ; mais la pulpe présente la même texture que les litchis classiques et son goût est assez apparenté pas suffisamment cependant pour tromper un habitué. Les longanis, eux, même mûrs, restent de couleur verte et la confusion n’est pas possible d’autant que la pulpe, pourtant assez ressemblante, est, à mon goût, assez fade. Si leur chair peut prêter à confusion avec celle des litchis, les mangoustans, par contre, sont délicieux. Mais celle-ci est enserrée dans une enveloppe épaisse et ferme de couleur mauve et pour l’extraire il faut écraser le fruit entre les doigts. Cette manipulation délicate permet de dégager les petites gousses blanches à déguster mais il faut doser la pression sinon on écrase la pulpe et on à la main salie par un liquide violet qui suinte de cette coque. Ces trois dernières variétés avaient leurs adeptes. Elles étaient moins demandées, plus difficiles à trouver et par conséquent plus chères sur les marchés. Quant aux jujubes, il fallait le vouloir pour en cueillir car le jujubier est un arbuste de belle taille dont le tronc est couvert d’épines et les fruits sur les branches les plus hautes sont presque inaccessibles. On se contentait donc de ceux à portée de main ou on les ramassait à même le sol pour les grignoter car il y a peu de chair à croquer ; mieux on les faisait mariner pendant au moins un mois dans un « jus » fait de vinaigre blanc, d’eau, de sel…et de sucre. Au fil des jours le fruit se gorgeait de cette mixture et son goût envahissait le palais quand on le croquait. On adorait cela….ou on le détestait et j’en connais qui crachaient après en avoir goûté. C’est aussi souvent le cas avec les tamarins ; magnifiques arbres qui peuvent atteindre 30 mètres de haut les tamariniers produisent en abondance des fruits qui se présentent sous la forme de gousses incurvées de 15 centimètres de long. Quand le fruit devient mûr, la pulpe prend une couleur pas très ragoûtante et elle est amère quand on la déguste. On la roulait soit dans du sel et du piment soit dans du sucre en poudre pour en atténuer les effets. Dans les deux cas c’était presque immangeable pour les non initiés ; mais nous étions habitués. Actuellement dans les boutiques orientales on en trouve sous la forme d’une pâte à dissoudre dans de l’eau ; quand on a l’intestin « coincé » ce mélange est du meilleur effet…si on réussit à l’avaler ! Et que dire des physalis, nos pocs-pocs que l’on dénommait aussi « bonga pisy » (testicules de chat) et c’est vrai que la ressemblance est parfaite !! Ils sont de la même famille que les « groseilles du Cap » ; ces dernières, minuscules coques de couleur orangée, sont souvent utilisées par les pâtisseries de luxe pour orner leurs gâteaux comme s’il s’agissait d’une cerise mais avec le goût exotique en plus. La capsule qui les entoure, une fois ouverte, présente la forme d’une étoile et l’effet recherché est aussitôt atteint. Mais nos pocs-pocs, à peine plus gros qu’une bille, ne sont qu’un pâle reflet de cette cousine lointaine et une amertume vous envahit la bouche dès qu’on les croque. Cette liane poussait n’importe où et en particulier dans les terrains vagues qui étaient le théâtre de nos jeux souvent interrompus pour ramasser ses fruits. Le seul souci c’était de ne pas se faire piquer car elle se plaisait parmi les ronces. Autre grand classique : les papayes. Le papayer est un arbre curieux qui se présente comme un frêle cocotier avec les feuilles en parasol dont les fruits sont accrochés directement sur le tronc ; mais ils se situent plutôt au sommet de celui-ci d’où l’expression de « casse papayes sans gaulette » pour qualifier les grandes bringues plutôt maigres les seules personnes à même de les cueillir sans l’aide d’un bâton; Il y a des plants mâles avec des petites fleurs en grappe et des plants femelles où les fleurs, plus grosses, sont fixées directement sur le tronc d’où émergent ,après la fécondation par les oiseaux, des fruits ovales très variables selon les qualités auxquelles on a affaire puisque leur taille peut aller de celle d’un avocat à celle d’un ballon de rugby. Toutes, une fois ouvertes, laissent entrevoir une multitude de petits grains noirs qu’il faut retirer avec une cuillère avant de déguster une chair qui est très délicate au goût. Du latex que contient cet arbuste on extrait aussi la papaïne utilisée en pharmacie pour ses vertus médicales. Si les plus fameuses sont de la variété « Colombo » toutes ont aussi des vertus sur le plan digestif si on a l’intestin paresseux ; on en fait aussi de délicieuses pâtes de fruit et les cuisinières averties l’utilisent aussi pour réaliser une entrée originale sous forme d’un gratin. Les grenadelles (en fait ce que l’on dénomme les fruits de la passion en Europe) on les mangeait à la petite cuillère à même le fruit après l’avoir coupé en deux. Là aussi on aime ou on aime pas le goût aigrelet qui vous vient au palais mais c’est un fruit qui ne laisse pas indifférent et on s’en souvient quand on en a goûté. Les Hévis, quant à eux, sont quasiment immangeables car dans la chair du fruit se mêlent des « filasses » qui se prennent dans les dents et après chaque bouchée il faut se curer les dents. De plus le fruit en mûrissant prend une certaine amertume pas désagréable mais à laquelle il faut être habitué. Verts on les mangeait avec du sel et du piment ou en « rougail » c'est-à-dire battus en petits morceaux que l’on faisait revenir dans de l’huile avec des oignons. C’est là un accompagnement habituel du plat principal que l’on mange avec du riz. Mais ce terme de « rougail » est un mot générique car des rougails on en fait aussi avec des mangues et des chouchous battus tout comme les hévis. Mais d’autres rougails sont aussi préparés avec des tomates cuites tels ceux cuisinés avec des saucisses ou encore de la morue. Mais la préparation la plus élémentaire c’est le tout simple rougail de tomates ; ces dernières sont coupées en petits morceaux et mélangées avec des oignons, du sel, du poivre, du gingembre…et du piment, sans oublier du combava, un petit citron dont on prélève le zeste odorant pour le râper. Les gros « jacques », eux, sont d’énormes fruits pouvant atteindre quinze kilos qui poussent à même le tronc de l’arbuste qui les produit. Le jacquier est aussi connu pour la colle qui suinte de ses fruits quand on les coupe. D’une efficacité redoutable cette colle vaut largement celle que l’on trouve maintenant dans le commerce et gamins nous l’utilisions pour attraper des « cingrittes », une variété de petits moineaux qui venaient s’empêtrer sur les pièges tendus à proximité d’un tas de graines déposées pour les appâter ; mais, malgré cette colle, les jacques sont comestibles : en cuisine nos parents en faisaient des carry et on en mangeait aussi en dessert en dépit d’un goût très prononcé et ceux qui l’ apprécie en ont « pour leur argent » quand ils sont bien mûrs. Un autre curiosité c’était les anones : je me souviens d’au moins deux variétés qui ont respectivement pour nom le « cœur de bœuf » et le « chérimolia » ; il y avait aussi le zaty mais il s’agit probablement du nom malgache de l’un ou l’autre. Le fruit se présente comme une grosse pomme verte avec des facettes et quand on l’écrasait on découvrait une chair soit blanche et gluante soit ivoire et granuleuse ; la première plus délicate que la seconde était bien entendu plus recherchée. Les Ananas de couleur jaune orangée n’avaient rien à voir avec ceux, de couleur verte et beaucoup plus gros, que l’on trouve le plus souvent sur les marchés européens et qui proviennent pour l’essentiel de l’Afrique de l’Ouest. Deux fois plus petits ils étaient de la variété « Victoria ». Mais, s’ils sont aussi moins juteux que leurs cousins africains, leur goût n’a rien de comparable avec ces derniers, en meilleur bien entendu. Pour leur reproduction le mieux était d’utiliser les rejets qui poussaient sur les côtés. Mais il n’y en avait pas systématiquement. Aussi, après avoir tranché la tête du fruit, je laissais celle-ci sécher pendant un jour ou deux puis je l’enfouissais en partie sous un peu de terre. Une fois sur deux cette opération me permettait d’obtenir un plant et il me suffisait d’être patient jusqu’à la future fructification. Les bananes, elles, malgré leur richesse sur le plan énergétique, n’étaient pas parmi mes fruits préférés. Elles étaient pourtant délicieuses en beignets ou cuites au four dans leurs peaux. Mais elles nous étaient souvent imposées au goûter avec du chocolat en barre pour nous fortifier ; cela explique peut-être la réaction négative à l’égard de ce fruit que je retrouve d’ailleurs chez de nombreux zanatany. Certains ne peuvent même plus supporter son odeur au point d’éprouver un urgent besoin de vomir en sa présence. En ce qui me concerne je n’en suis pas là et, parfois,
j’ai même plaisir à en manger comme à cette époque
c’est à dire avec du fromage tels le gruyère, le
camembert ou mieux encore du roquefort. Au restaurant d’entreprise
mes collègues du bureau s’en amusaient mais ceux qui tentaient
l’expérience reconnaissaient que plus qu’originale
cette dégustation était « intéressante » sur
le plan gustatif. Parmi les fruits/légumes je citerai aussi le chouchou (la chayotte ou la cristophine pour nos amis Antillais), avec laquelle les plats à cuisiner sont si nombreux : à l’étouffée avec des lardons, en gratin, au four dans sa coque avec des crevettes, effilé et cuit avec de la morue…et j’en passe. Cette liane qui aime à être plantée au nord dans une terre humide pousse aussi en Provence mais malgré tous les soins que je prodigue à mes plants mes résultats ne sont guère convaincants. Ce même sentiment d’avoir plutôt à faire à un légume qu’à un fruit je le partage au sujet des avocats. D’ailleurs en EUROPE c’est plutôt comme tels qu’ils sont utilisés. Pourtant on en mangeait aussi comme dessert lorsqu’ils étaient bien mûrs écrasés avec du sucre ; mais une autre utilisation courante consistait à verser du café très chaud et très sucré dans l’emplacement dégagé par le noyau une fois le fruit coupé en deux ; cette opération était facile car leur grosseur était deux fois celle de nos avocats actuels en provenance d’ISRAËL. Pour ce qui concerne les cocos j’ai aussi du mal à les considérer comme des fruits ce qu’ils sont pourtant ; mais pour moi un fruit ça se croque et même si la noix de coco se grignote (attention aux dents) je n’aimais pas du tout le faire ; néanmoins ceux qui l’aiment en vantent ses vertus. De plus, au-delà de l’utilisation très fréquente de son lait pour la confection de desserts et même de plat cuisinés dont le traditionnel « poulet au coco » classique de la cuisine chinoise et créole, ce fruit a de multiple usages : huile de coco à se mettre dans les cheveux (mais dont l’odeur n’est pas très agréable), confection (à partir de sa coque) de brosses sans égal pour lustrer les parquets en bois… Mais pour moi le coco évoque surtout deux souvenirs à jamais gravés dans ma mémoire : - Le premier c’est celui des glaces au coco : avec mes copains
nous allions en déguster chez un « arabe » appelé Abdallah
Awad. Là on y trouvait de tout : des sambos (petits pâtés
triangulaires plus connus sous le nom de samoussas), des cigarettes,
des gâteaux… et aussi des glaces à emporter ou à manger
sur place dans une arrière-salle à la propreté douteuse
; pour y accéder il fallait s’engager dans un petit couloir
qui passait devant la caisse. De cette position stratégique le
patron, ou l’un de ses fils, surveillait les entrées et
surtout les sorties pour limiter la fraude car les garçons de
salle n’avaient pas le droit d’encaisser leur rôle
se limitant à prendre les commandes des consommations. Les glaces étaient
servies dans des verres en pyrex avec une petite cuillère en aluminium
; après le départ de chaque client les tables en formica
bleu pâle étaient essuyées avec un chiffon douteux
et la salle était aérée par un ventilateur au plafond
pour supporter la chaleur ambiante. Mais les glaces au coco y étaient
divines et notre grand plaisir était de nous y réunir ;
chacun payait sa tournée et nous y passions de bons moments. C’est
plus tard que j’ai appris qu’en fait dans nos fameuses glaces
au coco il y avait très peu de coco et …pas mal de lait
en poudre !!! Et quelle ne fut pas ma surprise quand, 35 ans plus tard,
lors d’un voyage à TAMATAVE, j’ai retrouvé la
boutique dans le même état : un des deux fils avait succédé à son
père et surveillait encore les allées venues des clients
; les tables en formica bleu pâle étaient toujours là,
le même ventilateur continuait à tourner au plafond, les
verres en pyrex n’avaient pas été changé et
les mêmes garçons de salle, fidèles à leurs
postes, ne manquaient toujours pas d’essuyer chaque table après
le départ des clients. Et le miracle se produisit quand j’ai
porté à ma bouche la petite cuillère en aluminium
: j’ai retrouvé ce merveilleux goût de glace au coco
que mon palais n’avait pas oublié. J’ai fermé les
yeux et pendant toute la dégustation je suis redevenu le gamin
que j’étais. Ce moment là jamais je ne l’oublierai
; - Le second souvenir lié aux cocos c’est celui d’Ampanalana, un petit village situé à la sortie de TAMATAVE dans un coin dénommé « Tahiti Kely » (petit Tahiti) sur la route vers l’aéroport. Aller visiter ces quelques cabanes coincées entre la mer et le canal des Pangalanes était la ballade classique du dimanche ; les Tamataviens s’y rendaient pour y boire l’eau des cocos que les villageois vendaient aux badauds venus aussi pour admirer les nombreux cocotiers. Le plus beau était sans conteste le superbe cocotier penché si souvent photographié. Celui-ci n’a malheureusement pas résisté à un terrible cyclone survenu dans les années 1970. Mais les photos prises avec lui comme toile de fond sont nombreuses et c’est toujours avec la même joie qu’on le retrouve lorsque la nostalgie nous pousse à sortir nos albums. Après avoir avalé l’eau à même le fruit à partir d’un trou savamment découpé au sommet du coco le vendeur fendait celui-ci en deux d’un coup de coupe-coupe. Puis, il arrachait une lamelle de la coque, afin que nous puissions, avec cette cuillère improvisée, gratter à l’intérieur la chair encore tendre, la future noix lorsque le fruit serait enfin mûr. Un autre moment fort c’était vers le mois d’avril quand venait la saison des agrumes. Les oranges et les mandarines arrivaient par le train de BRICKAVILLE la plus importante zone de production. Pour le transport les paysans utilisaient des « garabes », gros paniers en osier tressé, dans lesquels ils entassaient les fruits. Et pour éviter les chocs ils étaient préalablement garnis de feuilles de bananes ou de ravenala ce qui avait également l’avantage de protéger les fruits de la chaleur. Les oranges, mêmes mûres, conservaient une couleur verte caractéristique de la variété spécifique à cette région et leur douceur était sans équivalent. Les mandarines, outre qu’elles étaient énormes, avaient au contraire une couleur orange très prononcée à la limite du rouge. Elles se caractérisaient par la facilité avec laquelle on pouvait récupérer les quartiers : la peau du fruit se détachait en effet sous la moindre pression des doigts. Les citrons, eux, on les mangeait avec du gros sel pour nous désaltérer et quand nous étions à la plage il nous suffisait de les plonger dans l’eau de mer avant de les presser pour en sucer le jus. Quant aux pamplemousses il y en avait plusieurs variétés
: J’ai du mal à me les remémorer toutes habitué désormais à ceux dits de FLORIDE que l’on achète en EUROPE. La plupart pouvaient être mangés sans sucre tant ils étaient
naturellement doux. Il y avait enfin les combavas, une variété de petits citrons verts à la peau côtelée, qui ne se dégustaient pas comme un fruit et dont l’utilisation était strictement limitée à la cuisine et plus particulièrement au célèbre « rougail de tomates », l’indispensable accompagnement du traditionnel repas créole à base de riz et de « grains » : haricots blancs ou rouges ou lentilles ou encore pois du Cap encore dénommés « les gros pois ». Le Néflier du Japon à la particularité en EUROPE de fleurir en hiver et les fruits qu’il produit sont très appréciés dans le midi de la FRANCE. Mais pour nous point de nèfles et ses fruits sont les bibasses. Il y a au moins deux variétés de bibasses, jaunes toutes les deux, qui diffèrent par la grosseur des fruits (en fait des noyaux dont la taille varie du simple au double). Par ailleurs cet arbuste ne poussait pas sur la côte EST au climat trop chaud et trop humide mais sur les hauts plateaux de l’IMERINA où les températures sont plus adaptées. Mais les bibasses étaient fades à mon goût et je les délaissais attiré par la profusion des multiples autres fruits à ma disposition. Je passe rapidement sur les fruits à pains car je ne les aimais pas beaucoup non plus que ce soit en frites (rien ne vaut la bonne pomme de terre) ou en confiture. Je ne les supportais qu’en carry et encore !!! Tel n’était pas le cas pour les goyaves que j’aimais bien déguster. On en faisait aussi de la confiture et elles avaient une couleur jaune ou rouge selon les espèces et quand on mordait le fruit des petits noyaux venaient se coincer entre nos dents ; Ce problème ne se posait pas avec les goyaves de Chine (que les Réunionnais dénomment goyaviers comme le plant) petites goyaves rouges à la chair tendre avec lesquelles on obtenait après cuisson une excellente gelée pour le petit déjeuner. On les avalait presque sans les croquer ; il valait d’ailleurs mieux ne pas trop s’attarder à regarder ce que nous mangions car souvent ils étaient pleins de vers ; il y avait peu de « goyaviers » dans nos cours mais il nous suffisait de prendre nos bicyclettes pour aller les cueillir dans les bois avoisinants où ils poussaient à profusion .Une fois la panse pleine on remplissait des sacs pour faire provision pour quelques jours. C’est dans ces même bois que les adultes allaient « fataquer » c'est-à-dire se glisser sous les taillis pour des ébats amoureux et souvent nous y avons surpris des couples parfois non officiels. Quant aux « cerises du Brésil » on allait les ramasser dans un lieu dit « be tai aoumby » ce qui signifie tout simplement : « là où il y a beaucoup de merdes de bœufs » ; mais le vrai danger n’était pas tant de se salir les pieds que de tomber nez à nez avec un zébu ; car, si comme tous les animaux le bœuf à bosse de MADAGASCAR redoute les hommes, il sait aussi reconnaître ceux qui le craignent et j’étais de ceux là. Prendre la poudre d’escampette valait alors mieux que de se faire encorner. Elles avaient aussi une « cousine » les vangasay dont la
peau était côtelée mais dont je ne me souviens plus
du goût. Je me souviens aussi de fruits qui commençaient tous par un JAM. Dans cette série on peut trouver : - les Jamalacs, fruits jaunes assez fades mais dont les fleurs, en forme
d’un plumet de couleur blanche, pouvaient compléter un bouquet. Et que dire : - des vavangues que l’on cueillait verts et qu’on laissait mûrir dans un sac de riz jusqu’à ce qu’ils deviennent flasques. La couleur marron du fruit blet était horrible à regarder et celui-ci n’avait ni goût ni saveur mais on avait patienté au moins un mois et pour rien au monde nous n’aurions abandonné aux autres le résultat de notre labeur ; - des sapotes encore, que l’on ne pouvait cacher d’en avoir mangé tant elles noircissaient nos dents ; - des corossols dont je n’ai que le vague souvenir d’un fruit vert à la chair blanche dont on pouvait tirer un jus assez agréable à boire glacé ; - des grenades à la base du célèbre sirop de grenadine ; - Et enfin des badâmes les fruits amers du badamier, un bel arbre apprécié pour son ombrage ; les amandes à l’intérieur de la coque étaient aussi comestibles mais pour casser celle-ci avec un caillou il fallait doser sa force sous peine d’écraser son contenu. Pour en finir avec cette litanie, bien d’autres noms me reviennent à l’esprit sans même pouvoir me rappeler, ou alors si peu, à quels types de fruits on avait à faire et quel goût ils avaient : - les pommes cannelles, - les caramboles, - les cajous, - les girimbelles….. J’en ai oublié sûrement bien d’autres et mes lecteurs m’aideront à compléter cette liste pourtant déjà bien remplie. Pour terminer je voudrais encore insister en répétant que tous ces fruits ont apporté bien des joies au gamin que j’étais qui adorait les cueillir en prenant souvent bien des risques, et qui, parfois aussi, aller les dérober chez le voisin sans véritable sentiment de culpabilité. D’autant que, il faut le préciser, dans la plupart des cours il y avait au moins un manguier et un pied de litchis voire de nombreux autres arbres fruitiers. Chacun d’entre nous avait donc de quoi se rassasier chez lui ; pourtant en route pour l’école notre plaisir était de grappiller les fruits qui pendaient au dessus des clôtures car, et c’est l’occasion de le dire, le goût du fruit défendu est sans égal. Les saisons de ces différents fruits se chevauchaient et nos parents nous préparaient en les mélangent de délicieuses salades de fruits « à la créole » dont je vous ai déjà parlé, mélange qui, loin d’être subtil, est cependant délicieux et peut terminer un repas comme dessert ou être servi à 16 heures non pas comme un goûter mais plutôt comme un plaisir que l’on s’offre et qu’on partage entre amis. Enfin, si de la période des mangues à celle des avocats en passant par les oranges et les goyaves, les saisons ont défilé depuis et les années aussi, le souvenir de ces « fruits de mon enfance » restera toujours gravé dans ma mémoire. Et, pour l’homme que je suis devenu, leurs noms réveilleront
toujours en moi le souvenir d’un gamin si content de vivre qu’il
en oubliait un peu de vieillir. PS : un grand merci à Henri SAPET qui a corrigé ce texte. |