N. MAVROLEO

Ce  16 mai 2006. SOUVENIRS, SOUVENIRS (FAHATSIAROVANA) suite…

-RIZ, GRAINS, ROUGAILS.

Riz, Grains, Rougails ! Dans ma mémoire ces 3 mots sont pour moi si étroitement liés que l’évocation de chacun d’eux suscite aussitôt le souvenir des deux autres.

Dans la cuisine créole cette trilogie correspond en effet au minimum minimorum  exigé à chaque repas, tout autre plat (rôti, carry ou achards pour ne citer que les plus courants), n’étant qu’un éventuel complément pour améliorer l’ordinaire. Dans les restaurants typiques de LA REUNION ces trois lettres « R.G.R. » (pour Riz, Grains, Rougail) sont d’ailleurs souvent affichées en gros pour attirer l’attention des clients ces plats constituant le menu  de base proposé aux clients : pour les « locaux » c’est la certitude de manger créole et pour les touristes c’est un appel à leur curiosité pour les appâter.

Cette tradition s’est largement répercutée dans les habitudes des ZANATANY et toute mon enfance s’est donc déroulée au rythme des repasde famille autour de ces trois plats et au moment de passer à table les seules questions étaient de savoir si les haricots seraient blancs ou rouges ou quels autres grains étaient au menu et si le rougail du jour serait à la saucisse ou à base d’autre chose.

Mais que nul ne s’y trompe ce menu biquotidien, loin d’être banal, permettait néanmoins de déguster une alimentation très variée. Car derrière ces trois mots magiques se cache une grande diversité de plats aux noms évocateurs de biens des souvenirs.

1) LE RIZ !

Pour commencer il faut bien entendu évoquer ce plat de base à chaque repas.

Pour les créoles il n’est pas de repas sans riz ; et pour les malgaches le vary (riz) est à ce point indispensable qu’il constitue souvent le seulaliment, complété parfois par un simple bouillon de brèdes (des feuilles diverses cuites à l’eau). Indispensable du moins il l’était car même le plus ordinaire des riz est devenu si onéreux que nombre d’entre eux, surtout dans les grandes villes, s’en passe désormais se contentant des pâtes chinoises bien moins chères mais aussi nourrissantes ?

Lors de l’accession de MADAGASCAR à l’indépendance l’exportation du riz était une activité commerciale florissante. C’est vrai, elle concernait le « vary lava » du riz long et blanc d’une grande qualité sinon énergétique du moins physique tant il était beau à regarder. C’était de l’argent qui rentrait.

Aujourd’hui la GRANDE ILE importe trois ou quatre fois plus de riz ordinaire et les devises manquent pour payer la dette qui en résulte. Il endécoule une pénurie chronique et une flambée des prix qui montent plus vite que le SMIC malgache.

Je ne suis pas suffisamment informé pour expliquer intégralement ce retournement de situation mais la convergence de plusieurs phénomènes l’explique en partie :

Avant tout la population de l’île a triplé, sûrement pas la production de riz.

Le LAC ALAOTRA, un des greniers à riz, aurait perdu un tiers de sa surface ; les grandes rizeries installées sur ses rives tenues par les grandes compagnies exportatrices ont en partie disparu remplacées par une multitude d’usines de petites  dimensions et d’exportateurs locaux.

Dans les années soixante-dix, au plus fort de la « période rouge » instaurée par le Président RATSIRAKA, les paysans avaient l’obligation de livrer leur production au FOKONTANANA, la coopérative locale, et, faute d’être payés en retour, ils ont fini par ne produire que pour leurs seuls besoins et vivre en autarcie privant les habitant des villes et des banlieues surpeuplées de leur nourriture de base ; Les réflexes sont persistants et ils perdurent encore en partie.

La parcellisation des rizières, conséquence de la démographie galopante, a aussi entraîné une diminution notable des rendements.

Il serait aussi rassurant d’imaginer que la légère diminution (prise de conscience ou peur du gendarme ?) des TAVY, la pratique du brûlis qui permettaient pourtant de produire le délicieux riz rouge des tanety (collines), y est aussi pour quelque chose.Pour en revenir au riz c’est par sacs de 50 kgs qu’il était stocké dans les cuisines. On y faisait mûrir les vavangues (fruits) et il fallait les protéger des rats.

Depuis la généralisation des cocottes à riz d’origine chinoise faire cuire du riz est devenu chose aisée. Autrefois ce n’était pas toujours évident pour tout le monde malgré la qualité des cocottes en fonte alors utilisées. Selon qu’on le voulait bien cuit et en grains ou collant il fallait savoir doser la quantité d’eau. La technique du chef, toujours en vigueur pour les adeptes de la casserole, c’était de respecter les deux phalanges d’eau au-dessus du niveau du riz. Mais je confirme que ce n’est pas aussi évident quitte à faire sourire les mamies zanatany cuisinières averties.Bien entendu il fallait toujours laisser un peu de riz au fond de la marmite pour le faire ensuite «  brûler » (griller)  afin de préparer le célèbre rano ampango (riz brûlé) que l’on buvait non seulement pour ses vertus anti-diarrhéiques mais aussi par plaisir sous forme de breuvage tiède et même glacé pour se désaltérer pendant la saison chaude.

Et si les variétés de riz sont nombreuses pour moi il y en avait trois :

le fameux vary lava, le beau et blanc riz long qui était pour l’essentiel exporté, et qu’on servait le dimanche ou aux invités,

le riz blanc ordinaire qu’on retrouvait à table tous les jours,

le  varyvao (vao diminutif de vaovao qui signifie nouveau) le riz rouge si bon des locaux. C’est de celui-là dont je garde le meilleur souvenir : quand il cuisait on soulevait le couvercle de la marmite pour sentir ses effluves et il avait tellement meilleur goût !

Quand on partait en brousse à la chasse pendant plusieurs jours on échangeait le riz blanc que nos parents nous avaient donné contre celui des villageois. Ils n’imaginaient pas notre plaisir de le faire et ils devaient se dire « ils sont un peu fous ces vahazas » ravis cependant d’améliorer leur ordinaire à peu de frais.

Et tout le monde était content d’avoir troqué son quotidien contre la nouveauté offerte par « l’étranger ».

2) Les GRAINS !

C’est au marché que je suis resté ébahi. Je voulais trouver du riz rouge pour BABA (une amie de ma mère) et comme elle le voulaitle plus ordinaire possible je me suis rendu au bazar kely (petit), celui fréquenté par les locaux,persuadé d’y trouver ce que je recherchais. En traînant au milieu des étals mon regard s’est soudain posé sur des amoncellements uniquement consacrés uniquement aux féculents. Mais, au-delà de certains (haricots blancs ou rouges..) que je reconnaissais bien, des énormes tas concernaient des grains que j’avais complètement oubliés et qui avaient pourtant composé les menus quotidiens de mon enfance.

Sous le regard amusé des clients et avec le consentement du marchand concerné un peu interloqué, je suis alors rentré sous son parasol; jeme suis assis au milieu des gony (sacs de sisal) et des vans recouverts de grains secs pour aller à la pêche et récolter quelques exemplaires de chaque variété pour ensuite glisser chacune dans un papier différent en prenant soin d’y préciser les noms et les explications qui m’étaient données.

A chaque précision j’avais le sentiment que mes papilles se souvenaient des plats confectionnés à partir de chacune.

L’idée venait de naître de les récapituler par curiosité mais aussi pour le plaisir de me  remémorer :

la diversité de leurs formes, de leurs couleurs  et de leurs goûts,

leurs caractéristiques,et les éventuels souvenirs liés à chacun d’eux.

Dans mes textes précédents une amie m’a fait remarquer que je parlais peu de mon père. C’est vrai qu’il est parti bien trop vite et que mes meilleurs souvenirs remontent plus à mon adolescence qu’à ma prime jeunesse.

Pourtant s’agissant des « grains » c’est avant tout à lui que je pense : outre qu’il était toujours habillé en blanc avec un casque colonial, blanc aussi bien entendu, c’était un grand amateur de  féculents. Mais, alors que tous s’accordent à reconnaître en lui un homme doux et réservé, il pouvait devenir grognon quand il ne trouvait sur la table « ses grains quotidiens ».

Sa préférence était pour lespois du Cap. Différents des haricots dits de Soissons car de plus grande dimension, les « gros pois » commeles dénomment les créoles, a l’instar de tous les légumes secs, sont délicieux préparés avec du lard et ils se bonifient quand on ajoute du safran à la sauce.

Par ailleurs, plus ils sont secs plus il convient de les faire tremper une nuit pour faciliter leur cuisson et, pour les rendre plus digestes, on ajoute dans l’eau une cuillérée à café de bicarbonate de soude. Enfin, comme avec tous les féculents mais de façon encore plus prononcée, l’effet pervers lorsqu’on en mange se sont les flatulences ressenties lors de la digestion mais j’y reviendrai.

Je passe rapidement sur ses deux cousins germains si connus que sont les haricots blancs ou rouges sinon pour préciser qu’ils se marient si bien avec la plupart des plats créoles en particulier avec un carry et aussi avec le rougail de saucisses.Quant aux haricots verts leur particularité pour nous c’est, avec les carottes, le chou blanc, le chou fleur et l’indispensable gingembre, d’être un des ingrédients des célèbres achards de légumes un des fleurons de la cuisine créole.

Les lentilles vertes ou blondes elles, étaient cuites en « sosoa» c'est-à-dire presque en purée et l’agrément supplémentaire c’était de les faire revenir dans l’huile de friture des saucisses. Bien sûr elles sont moins bonnes que les bien connues lentilles de CILAOS (à LA REUNION) mais au prix de celles-ci je doute qu’elles aient été fréquentes dans les menus des Tamataviens.

Les lentilles roses, qui le plus souvent étaient vendues cassées en deux, elles, s’accommodaient bien avec les viandes blanches.

Enfin, je ne sais pas si  je dois rapprocher les lentilles des Tsiasisa car, si celles-ci ont la même forme oblongue, elles sont plus grosses.Quant à leur goût je ne m’en souviens plus du tout ! Par contre mon marchand malgache m’a précisé une anecdote à leur sujet : leur nom complet serait Tsy misy sisa am’vady soit littéralement « il n’y en a plus pour le mari » car lorsque une cuisinière les prépare elles sont si délicieuses qu’il n’y en a plus pour son vady (mari) quand celui-ci rentre pour prendre son repas !!!

Mais c’est vis-à-vis de la famille des pois que mes souvenirs étaient les plus lointains. Pourtant depuis que l’on m’a remémoré leurs noms ceux-ci chantent à mes oreilles tant je les trouve beaux :

les Ambériques sont je pense des graines de soja germées qu’on a ensuite laissé sécher. Elles sont de couleur jaune ou verte selon la variété.-     Les Voansiroka dont je ne sais plus s’il s’agit du nom malgache des précédents.

Les Voanjobory dont le nom est si agréable à prononcer. Frais, ils se présentent sous la forme de gros pois chiches et ils supportent aussi d’être accommodés avec du safran. Ils se consomment aussi secs mais ils se rabougrissent, leur cuisson devient laborieuse et ils n’ont plus le même goût.

Les Dolls, spécialité plutôt d’origine mauricienne, qui servent aussi à préparer les délicieux bonbons piments qui se dégustent à l’apéritif.

Les Ambrevades dont les gousses se cueillent sur un arbuste si joli quand il se couvre de fleurs.

J’allais presque oublier les classiques petits pois. Pourtant, outre une salade russe, sa grande spécialité, maman nous en servaient tous lesdimanches avec du rôti de poulet.

Pour en terminer avec « les grains » je ne peux passer sous silence les éclats de rires voire les fous rires générés par les flatulences consécutives à leur absorption.

Notre Ecole SAINT-JOSEPH était en bord de mer et les portes des classes étaient en permanence ouvertes. Bien heureusement car certains après-midi les vents marins chassaient les vents tout courts et chacun imagine les rigolades qui fusaient quand l’un de nous se laissait aller. Il y avait les discrets voire les sournois qui préféraient agir en douce et la grande question sur les bancs étaient de savoir « quelle était la poule qui avait pondu l’œuf ».Mais d’autres, plus facétieux, adoraient « se faire entendre » et n’étaient satisfaits que si, comme le ramage qui se rapporte au plumage, l’odeur était proportionnée au bruit dégagé.

J’ai même souvenance d’un de nos instituteurs qui, un jour, n’avait pu se retenir. Je tais son nom mais il avait aussitôt mis sa bouche « en cul de poule », ce qui était son habitude, et fait comme si de rien n’y n’était. Mais loin de nous gêner cela nous avait plutôt amusés un peu comme si nous avions pensé et chanté : « il est des nôtres, il a fait son pet comme les autres !». Et ce moment de « relâchement » nous a même quelque peu rapproché de lui avec lequel nos rapports étaient  différents (voire difficiles) de ceux qu’on entretenaient avec nos autres instituteurs.

3) LES ROUGAILS !

Je n’ai pas la prétention ici de livrer des recettes car les rougails sont à la cuisine créole ce que représentent le bœuf bourguignon et les daubes dans la cuisine française.

Mais j’ai tant de plaisir à les lister que je ne puis m’en priver. Elles sont à base :

soit de légumes : chouchous ou margoz (concombres amers).soit  de fruits : mangues, tamarins ou évis (fruits de Cythère).

soit de produits de la mer : morue (frite puis émiettée), chevaquines (ou patsa : des petites crevettes grillées de couleur blanche ou rouge).

soit de viande : saucisses (fumées de préférence), graton (la peau de porc frite à feu doux puis gonflée en y jetant de l’eau), ou boucané (lard fumé au feu de bois).

Outre que j’en ai probablement oublié j’ai volontairement mis à part deux classiques :

le rougail de pistache (en fait des cacahuètes pilées) qui se déguste aussi sur des canapés à l’apéritif,le traditionnel rougail de tomates qui est une institution et qui tire son excellence du gingembre et du combava (petit citron côtelé) qui lui donnent tant de parfums.

Enfin je ne sais plus si la classique « sauce papa » (préparée à base de gingembre, d’oignons et de citron)  peut être considérée comme un rougail ; mais elle agrémente si bien tous « les grains » que je la considère comme tel.

4) RIZ, GRAINS ROUGAILS !

Vous conviendrez, suite à cette énumération de grains et de rougails, que nos repas quotidiens, grâce aux différents mariages possibles, loind’être monotones étaient très variés; nous les attendions avec d’autant plus d’impatience que, même dans les familles les plus modestes, nos parents les agrémentaient de carry ou de rôtis ou encore de brèdes.

Mais, comme maman travaillait, ce repas de base nous allions le récupérer dans une cantine. Non pas dans un restaurant d’entreprise comme on les appelle aujourd’hui mais dans une maison créole où chaque jour (sauf le dimanche) dans sa propre cuisine une mamie faisait de quoinourrir sa clientèle d’abonnés.

La cantine (l’ensemble de plats) elle-même était composée de trois compartiments en aluminium qui s’emboîtaient les uns dans les autres. L’anse qui servait au transport passait sous des supports ancrés sur les deux premiers compartiments et se fixait sur celui du bas. Le tout, une fois consolidé, devenait un ensemble homogène, pratique pour le transport et mes sœurs et moi avions chacun notre jour « de corvée » pour aller l’emmener puis la récupérer pleine de victuailles. L’entrée était placée sous un couvercle dans le premier compartiment, au milieu se casait le plat de résistance, essentiellement un rougail, et en bas obligatoirement se trouvaient « les grains ». Parfois la cantine avait un quatrième compartiment pour le riz. Mais chez nous il était préparé à la maison et il fallait vite passer à table pendant que les plats étaientencore chauds. Quant au dessert je ne reviendrai pas sur la multitude des fruits à notre disposition.

Une varangue faisait le tour de la maison et elle servait de salle à manger. Pour nous protéger de la vue des passants, nombreux dans la rue de La Réunion, des persiennes la cernaient de toute part. Et le riz, les grains et les rougails ont fait de nous tous, ces zazakely (enfants) d’autrefois, des adultes métropolitains aujourd’hui mais des zanatany toujours, quelque peu nostalgiques du passé peut-être mais dont les souvenirs sont une richesse que nul ne pourra nous ôter.

Et pour terminer je voudrai rendre hommage à une personne qui m’est chère dans mes souvenirs : A TAMATAVE il y avait plusieurs personnes qui « faisaient cantine ». Pendant des années la nôtre fut celle de Mlle MACEO qui en avait fait son unique  métier.Dans sa vieille case en bois elle passait des heures devant ses fourneaux dont la chaleur venait s’ajouter à celle qui passaient à travers les tôles rouges qui servaient de toit à sa cuisine. Elle était vieille, elle avait chaud mais c’était son gagne-pain. Elle commençait à cuisiner tôt le matin pour que tout soit prêt à onze heures. Le défilé des clients pouvait commencer. Plus tard, après son décès, une autre dame prit le relais ; mais je garde une tendresse pour cette vieille dame qui, sa vie durant, tous les jours que dieu lui a donné, avait eu un si agréable métier qui consistait a décider pour les autres ce que serait leur menu du jour.

Ps : un remerciement à Béatrice, Marie-Claude, Claude, Henri et Néné pour leurs judicieuses remarques.