SOUVENIRS, SOUVENIRS (FAHATSIAROVANA)….
N. MAVROLEO le 08/03/2006
INTRODUCTION
Ce récit (écrit à la fin 2005 dans l’avion
en partance pour LA REUNION) relate non ce dernier voyage mais
celui effectué il y a quelques années déjà lors
de mes retrouvailles avec mon passé. La mémoire m’ayant
cependant parfois fait défaut ce dernier retour aux sources
m’a cependant permis de le compléter voire de rectifier
certains erreurs car on a naturellement tendance à embellir
le passé.
Bien sûr depuis bien des choses ont changé :
- la place du marché a été complètement
refaite,
- les routes principales ont été goudronnées,
- à mon grand désarroi ma maison a été détruite
et mon manguier abattu,
- une piscine est venue embellir le club nautique,
- le cercle a été restauré,
- mais aussi ma copine Marie-Louise BOFF est décédée….Ainsi
va la vie.
Par ailleurs dans la liste des familles qui habitaient mon quartier
j’ai oublié certaines d’entre elles et malgré des
efforts je n’ai pu toutes me les remémorer. La mémoire
est sélective et que celles que j’ai oubliées
me le pardonnent.
Par ailleurs ma méconnaissance de la langue malgache, ce
qui n’est pas très glorifiant pour un zanatany (étranger
né au pays), doit avoir généré de grossières
fautes. Que mes amis malgaches et linguistes me le pardonnent.
Car si mon cousin Néné, spécialiste à ce
sujet, en a corrigé certaines d’autres sont probablement
passées à travers les mailles et mes lecteurs
me permettront de les rectifier.
Pour mieux comprendre les lignes directrices de ce récit
son sommaire est le suivant :
- Mon arrivée à TAMATAVE,
- Mon ancien quartier,
- La visite des autres quartiers,
- La visite du marché.
MON ARRIVEE A TAMATAVE :
Cela fait une heure que notre avion a décollé de
l’aéroport de Gillot à SAINT DENIS DE LA REUNION
et par le hublot je commence à scruter l’horizon :
je veux apercevoir la Grande île dès qu’elle
y apparaîtra.
Mais entre ciel et mer j’ai du mal à faire la différence ;
je patiente quelques minutes et soudain une sorte de mirage vient
rompre l’harmonie entre le bleu clair du ciel sans nuage
et le bleu vert de l’Océan Indien : MADAGASCAR
est en vue. Puis progressivement ce halo prend forme : j’entrevois
enfin au lointain les premiers contreforts de la côte
EST.
Soudain une ligne blanche s’intercale entre mer et terre :
la plage !! Elle s’étire bientôt sous mes
yeux et les vagues l’assaillent. Par opposition à cette
agitation de l’autre côté d’une langue
de terre qui semble interminable j’aperçois une eau
calme : le canal des Pangalanes s’étire entre
lacs et marécages. En me penchant légèrement
je crois aussi voir les restes du CATINAT. Mais je sais bien qu’il
y a longtemps que le sable a englouti son épave et que c’est
celle d’un autre navire qui, suite à récent
cyclone, tente désormais de résister à l’assaut
des vagues. Le CATINAT !! Les souvenirs des pique-niques non
loin de son épave me reviennent en mémoire.
Mais je n’ai pas le loisir de m’attarder sur eux car
juste sous l’appareil une île transperce l’Océan :
l’îlot PRUNE est là sous mes yeux !
J’entrevois son phare blanc et le récif de corail
qui l’enserre complètement. Je réalise alors
que je ne suis pas du bon côté et que je ne pourrais
pas voir TAMATAVE. Je me console en attardant mon regard sur l’estuaire
du fleuve IVOLOINA à moitié ensablé ;
je suis son cours à l’intérieur des terres
et je vois alors le pont qui l’enjambe.
L’avion vire alors sur la gauche et ce sont les marécages
qui entourent l’aéroport qui s’étalent
sous l’appareil. Je devine des centaines de « viha » (plantes
des marécages) qui bordent les étangs et je
repense aux parties de chasse dans leurs dédales à la
poursuite des tsiriry, les canards sauvages, qui pullulaient dans
ma jeunesse et qui sont paraît-il devenus si rares. Mais
déjà l’avion pique du nez et atterrit.
Quand ses portes s’ouvrent l’aérogare me semble
inchangé quoique très abîmé par les
outrages du temps. Encore quelques marches à descendre et
je foule la terre où je suis né. Si je m’écoutais
je ferai comme le Pape et je me pencherai pour l’embrasser.
Mais c’est du goudron que j’ai sous mes pieds et d’énormes
tâches de cambouis calment mon enthousiasme.
Je me hâte pour arriver parmi les premiers afin d’acheter
et de remplir ma demande de visas sans trop de bousculade. Puis
c’est la foire d’empoigne pour récupérer
mes bagages car de nombreux porteurs se proposent de « m’aider ».
Assez curieusement les opérations de vérifications
d’identité se déroulent assez vite. Bien sûr
il faut quand même montrer quatre fois son passeport sur
quelques mètres mais elles sont moins tatillonnes que celles
que les touristes doivent supporter à leur arrivée à TANANARIVE.
Je résiste à quelques demandes de bakchichs de la
part des douaniers et je réussis à m’en sortir.
L’aérogare grouille de monde : outre les parents
et amis venus accueillir les voyageurs une armée de porteurs,
de chauffeurs de taxis, de curieux et même de mendiants sont
là. Au milieu de la foule je souris en apercevant ma sœur
Josette et je l’embrasse.
Une dernière agression des quémandeurs qui me crient « porteurs
vazaha » (par opposition aux malgaches l’homme
blanc), « taxi vazaha » et je trouve devant
moi un gamin en guenilles qui me supplie en criant « mangataka
(svp) vazaha ». Je lui glisse une pièce de 2
euros et fou de joie il se sauve de peur que je la lui reprenne
ou que d’autres adultes la lui extorquent. Ma sœur
me fait alors remarquer que je viens de lui donner l’équivalent
d’un dixième d’un SMIC malgache. Je me promets
alors d’accepter en repartant d’échanger les
pièces en euros qu’on nous propose contre des billets
d’euros qui sont les seuls acceptés par les banques
locales.
Sur la route qui mène à la ville ma première
réflexion est de constater que la circulation y est intense
et les embouteillages nombreux : la chaussée grouille
de pousse-pousse (il y en aurait 5000 actuellement), de charrettes à boeuf,
de bicyclettes, de carrioles, de taxis aussi délabrés
les uns que les autres. Les voitures doivent faire du gymkhana
pour avancer d’autant plus difficilement que des piétons,
insouciants du danger qu’ils encourent, traversent la rue
sans arrêt.
A la hauteur de la route qui mène à « tahiti
kely » on n’emprunte plus le boulevard de front
de mer (emporté par un cyclone il y a quelques années
les crédits pour le reconstruire n’ont jamais été trouvés),
mais l’ancienne route de SALAZAMAY bien trop étroite
pour supporter une telle circulation. L’église de
SALAZAMAY elle, par contre, a été retapée
et vers la plage il me semble apercevoir l’ancienne maison
des TYACK.
Puis on croise les chemins de terre qui mènent à l’hôtel
MIRAMAR et au lycée RABEMANANJARA où j’ai passé mon
Bac et que je me promets d’aller visiter. Par contre tous
les « fataka » (bois) où on allait
ramasser des goyaves de chine ont été remplacés
soit par de superbes villas soit par des centaines de cases en
FALAFA (feuilles de ravenala, l’arbre du voyageur, dont la
feuille est utilisée pour recouvrir les maisons). Mais surtout
tout le long de la route tous les dix mètres il y a un « mpivarotra » (boutique
malgache) où l’on trouve beaucoup de nourriture mais
aussi des pneus, des sièges de voiture, des outils, des
bicyclettes,des matelas…bref de tout.
Soudain lors d’un ralentissement mes narines frémissent à l’odeur
des « masikity » (brochettes) et je souris
en croisant le rôtisseur (!!!) grillant ses brochettes au
bord du chemin au milieu des vapeurs d’essence.
On traverse le pont sur le canal des pangalanes et je tente vainement
de retrouver la maison des PITOU désormais masquée
par les mpivarotra installées presque sur la route. Plus
loin c’est le haras ou ce qu’il en reste car je n’y
vois pas l’ombre d’un cheval. En face de la vigie (poste
de police) N° ?, devenue un vidéoclub (!!), le
sentier qui mène à l’ancienne maison de la
famille MICHEL est un véritable cloaque. Je repense à mon
ami Jean-claude mais aussi à sa sœur Marlène
un beau brin de fille avec des tâches de rousseur.
Puis défilent les nombreuses cases créoles ou plutôt
ce qu’il en reste : à droite la maison sur pilotis
des DESSAIGNES, à gauche celle des SABATIER….
Après un dernier périlleux passage entre deux rangées
de pousse-pousse on arrive enfin au rond-point devant l’ex
garage MOTUT non loin des cités DUPLEIX et du Port (encore
dénommée la cité MARABOUT) d’où part
la route vers la cité DESJARDINS. Tous ces noms chantent
dans ma tête et je suis content qu’ils me reviennent
aussi facilement.
Ma sœur habite désormais là dans la cité GUYARD
qui se limite à quatre villas identiques le long d‘une
impasse. Son pied de litchis est couvert de fruits mais ils sont à peine
rouges. Comme je suis venu pour participer à la campagne
de litchis je m’inquiète pour leur maturité.
Elle me rassure en me disant que, s’il fait beau aujourd’hui,
il a plu cette nuit et les jours précédents et qu’ils
seront donc mûrs dans trois jours date à laquelle
celle-ci doit commencer.
Ce délai je me promets alors de le consacrer à redécouvrir
MON TAMATAVE.
Mais je suis fatigué par le voyage et par déjà tant
d’émotions. Il est 18 h et il commence à faire
nuit. Demain il sera temps pour moi d’aller errer dans les
rues et ruelles vers les jardins et les places, tous ces lieux
qui ont bercé mon enfance.
Mais avant de m’endormir je tenterai d’anticiper ma
visite en me remémorant chaque maison, ses occupants, les
arbres fruitiers présents dans chacune des cours.
Mais je sais aussi que mon cœur battra très fort
en arrivant dans la rue de la Réunion puis lorsque je m’arrêterai
au N° 24 devant cette case créole couverte de tôles
rouges qui était MA MAISON.
MON ANCIEN QUARTIER :
Ce matin je me suis levé tôt. J’ai hâte
de revoir mon quartier et en même temps j’ai peur d’être
déçu.
Pour ces retrouvailles je n’ai pas voulu prendre la voiture
de ma sœur car je pense préférable d’y
aller en pousse-pousse afin de mieux observer, mieux sentir et
mieux rêver. Qui plus est afin d’avoir tout mon temps
j’ai même décidé de louer mon pousse-pousse
pour la matinée (le pousse-pousse est le véhicule
et le pousse celui qui le conduit).
A peine parvenu au niveau de la rue trois d’entre eux se
précipitent à ma rencontre pour me proposer leur
service. Je choisis le plus âgé. Pour négocier
le prix je lui glisse quelques mots en malgache pour lui faire
comprendre que je ne suis pas un touriste ; surpris mais pas
pris au dépourvu il m’annonce malgré tout le
double du prix que le gardien m’a conseillé. Mais
le double de pas grand-chose ce n’est pas grand-chose et
c’est ma première dépense ; je décide
donc de ne pas discuter tout en lui confirmant bien que je souhaite
m’arrêter aussi souvent que j’en aurai envie.
Il acquiesce en souriant (il aura le sourire tout au long de la
matinée) et il me plaît déjà.
C’est un ANTAIMORO (tribu du sud-est) comme la plupart des
pousse-pousse de TAMATAVE car ce métier est bien trop « dur » pour
les BETSIMISARAKA (la tribu locale). On dit qu’ils sont solidaires
et parfois agressifs. Pas le mien qui s’avère être
très avenant. Il me dit qu’il a 35 ans. Je pensais
qu’il en avait 50 !!!
Il fait beau, il renverse la capote et je m’installe. Je
suis un peu surpris quand il soulève « mon véhicule ».
J’avais oublié….
Il commence à peine à marcher quand un vent léger
se met à souffler et un kapokier voisin en fleurs nous envoie
dans la figure des centaines de petites touffes blanches qui jonchent
déjà le sol. Je repense alors aux oreillers
en kapok de notre enfance.
Quelques mètres plus loin je lui demande de tourner à gauche
en direction du gymnase ; c’était le théâtre
des matchs de basket disputés dans les rangs du « SPORT-CLUB » et
de volley dans ceux de « SAINT-JOSEPH SPORT ».
Les noms de mes anciens coéquipiers se bousculent dans ma
tête : SAINT-BERTIN, VESTALYS, COCO, GILBERT ABOIN de
son surnom BOINA, ECLAPPIER, DANDRADE, FAFANE, HENRI, FIFILS….
En arrivant devant cette bâtisse je crains le pire ;
miracle il a retrouvé son toit. On m’avait dit qu’il
l’avait perdu il y a deux ans suite à un cyclone.
Mais, de l’autre côté de la rue, le dojo est
dans un triste état et la nature y a repris ses droits.
Par contre en face une immense coupole flambant neuf : c’est
celle d’une mosquée qui a été construite
juste à côté de l’église
de la maison de retraite. C’est mon neveu RENAUD qui l’a
bâtie et je la trouve très belle. Celui-ci comme son
père est un fameux joueur de boules. Mais, si ce dernier
a été plusieurs fois champion de MADAGASCAR en triplette
son fils, lui, peut s’enorgueillir d’un titre de champion
de France en doublette.
Revenant sur nos pas on croise la maison de retraite et je repense
alors à notre « nénène » (nurse)
Mme GELIUS une vieille créole qui y a finit ses jours. Tous
les jeudis midi elle venait déjeuner à la maison ;
elle arrivait en pousse c’est souvent moi qui la ramenait…en
vélomoteur : assise sur le porte bagage elle s’accrochait à mon
dos et elle était fière de ce périple. Avant
de la quitter je lui glissais le petit billet que maman avait préparé à son
intention et elle me regardait partir en me suivant longtemps du
regard.
Arrivé au rond point je demande à mon « conducteur » de
s’engager dans l’avenue JOFFRE. Les flamboyants ont
quelques fleurs. Les dernières ? Non ce sont les premières
car on est en novembre et ici bientôt ce sera l’été ;
leurs fleurs rouges/orangées étonneront peu les Tamataviens
quelque peu blasés, mais elles éblouiront par contre
les touristes.
Tout au long du chemin je tente de me souvenir des différentes
familles qui habitaient dans ce quartier :
- la grande maison des DUBOIS,
- en face le bâtiment militaire du PRINTANIA en piteux état,
- derrière la belle villa des de ROBILLARD,
- la grande maison créole des GASPARD,
- la villa de BIESSY mes cousins.
- Quelques centaines de mètres plus loin l’ex cour
du dentiste Mr RICHETTA où un cytise couvert de fleurs jaunes
retient mon attention,
- la maison et le bureau des DI QUAL,
- la villa des CERVEAU…
Mais des rires étouffés attirent mon attention :
des « filles » se pavanent sur le trottoir.
Il n’est pas 9h du matin et il n’y a pas d’heure
pour les braves : elles attendent les clients attablés
au bar de l’hôtel PLAGE voisin qui prennent leur petit-déjeuner.
En croisant cette terrasse j’ai une pensée pour les
LAGRAVE qui en ont été les propriétaires pendant
si longtemps et surtout pour Josette ma voisine puisqu’elle
réside désormais à SANARY.
Puis on longe le stade et devant le terrain de boules un café « le
bar de l’univers » (tout un programme) s’est
installé. Suite aux orages de la nuit le sol est jonché des
dernières fleurs tombées des « Cendragons » qui
forment une voûte ; et c’est sur un superbe tapis
jaune que nous rejoignons l’avenue de l’Indépendance.
Juste avant celle-ci, à la place du jardin, le tribunal
s’est agrandi d’une annexe et je frémis en découvrant
que la villa d’en face est maintenant un centre anti-sida.
Quant à l’ancienne banque Franco-chinoise c’est
maintenant la BFG, une filiale de la SOCIETE GENERALE. D’ailleurs
toutes les grandes banques françaises (à part le
CREDIT AGRICOLE) ont ici pignon sur rue ce qui démontre,
malgré tout, notre influence dans notre ex-colonie.
Puis en face de la grande bâtisse où était
installé Mr DESHAYES le panneau du RITZ est toujours en
place bien que les deux cinémas soient fermés depuis
des lustres remplacés désormais par la télévision.
En croisant la rue suivante qui mène à la mer j’adresse
un coucou à la famille WELMANT dont la cour était
magnifique avec des capillaires de toute beauté, des crotons
multicolores et des anthuriums gros comme une main; Ils avaient
aussi des tortues et des perruches et à partir de quelques
couples qu’ils m’avaient donnés j’avais
fini par en avoir plus de 200 dans la cage immense que j’avais
installée dans la véranda de la maison. Et je repense à mamie
qui préparait à mon intention « des bâtons
de morongy au lard » dont je suis resté friand
et à papy amateur de pêche cavale le soir au lamparo.
Plus bas je croise la vitrine de la compagnie Générale
de Mr Roland LOUIS où étaient exposées toutes
les pierres de MADAGASCAR. Dans la cour de sa maison voisine c’est
avec du quartz rose que sa femme avait confectionné les
bordures de son jardin et c’était du plus bel effet.
Je demande alors à mon « conducteur » de
me déposer et de me suivre ou d’aller m’attendre
devant le cinéma RIO. Il rigolait de me voir m’extasier à chaque
coin de rue mais cette fois il est hilare à ma demande.
Il préfère quand même me suivre du regard de
peur de voir s’envoler le prix de la course.
A pied je m’engage sous les arcades : les étagères
de la pharmacie (ex DUMAGNOU) me semblent bien vides et une agence
de voyage vante les mérites des hôtels de FOULPOINTE.
Plus loin chez SAIFI je rentre « pour voir». Je
suis déçu de ne pas trouver en vitrine les brioches
au sucre et les gâteaux secs en forme de S qui faisaient
les délices de nos goûters. Mais en face chez THIA
TONG qui a conservé son nom j’achète des « vivilles » les
petites pastilles à la menthe de mon enfance.
Je décide alors de ne pas aller aujourd’hui au marché et
de lui consacrer une matinée. Sur le même trottoir
l’Hôtel SOMARIA est devenu un magasin et en face la
librairie FAKRA est toujours là. Des mendiants attendent
les passants à l’angle de l’avenue Aviateur
Goulette et l’un d’eux vient à ma rencontre :
c’est un infirme et j’ai un haut-le-cœur car
je pense reconnaître un de ceux que gamin j’avais pris
en sympathie. Je lui donne un billet de 10.000 FMG (une misère
pour moi de quoi se nourrir pendant quelques jours pour lui) et
il n’en revient pas. Je m’éloigne vite car j’écrase
une larme. Je me retenais depuis hier mais je suis trop ému
et ça me fait du bien. Pendant mon séjour à chacun
de mes passages suivants j’ai fait ainsi ma « Bonne
Action » et sa joie en me voyant arriver était
un merveilleux cadeau.
Mon pousse-pousse suit de loin mon manège et rassuré de
me voir il s’arrête devant la bijouterie LILHADAR.
Un vigile est posté à l’entrée car des
attaques ont eu lieu en ville. J’entre dans la boutique et
3 hommes discutent derrière le comptoir. Je me présente
et je demande à voir le bijoutier. Ce sont ses 3 garçons.
Ils disent me reconnaître, pas moi. L’un d’eux
va chercher leur père qui bien sûr a beaucoup vieilli.
Il a perdu la vue en partie et quand je lui parle de maman je sens
qu’il a la larme à l’œil car c’est
sa jeunesse qui lui revient.
A la sortie je découvre que le cinéma RIO (ex BELGODERE)
est devenu un magasin d’appareils électroménagers
où tout s’achète à crédit ;
des remboursements par semaine y sont même possibles !
Les malgaches s’y bousculent pour s’y endetter en achetant
postes de radio, télés et aussi des bicyclettes.
Ils y dépensent parfois en quelques instants le salaire
mensuel qu’ils viennent de toucher.
Je quitte dégoûté ce lieu où la société de
consommation fait des ravages et je me précipite chez ABDALLAH
AWAD dans la rue à côté car je meurs d’envie
déguster une glace au coco. Depuis 35 ans j’ai l’impression
que rien n’a changé :
- l’arrière boutique est toujours là,
un peu limite question propreté,
- les chaises et les tables en formica bleu sont toujours
les mêmes,
- la glace est encore servie dans des verres transparents,
- le ventilateur au plafond n’a pas rendu l’âme.
- et surtout le goût de la glace au coco est toujours
le même.
Seul le caissier a vieilli. Il m’affirme qu’il se
souvient très bien de moi (il faut dire que mes copains
et moi nous étions de bons clients) mais je pense qu’il
n’en est rien. Pourtant c’est lui qui me parle du SPORT-CLUB
et de l’équipe de Basket. Je suis aux anges. Un autre
client rentre dans la boutique : c’est un fils RABONARIVELO
le grand frère de GAGA mon ami de toujours avec lequel j’ai
partagé une chambre à la cité universitaire à TANANARIVE.
Il était venu me voir à PARIS il y a quelques années.
Je lui avais permis de retrouver un de ses amours d’enfance
avec laquelle il avait passé quelques jours avant de repartir à MADAGASCAR… pour
y décéder 2 mois plus tard. Son frère me donne
quelques adresses pour retrouver d’autres copains et je repars
en direction de l’hôtel JOFFRE. Il a terriblement vieilli
et devant sa terrasse des vendeurs de souvenirs font de la retape
toute la journée.
L’un d’eux me poursuit jusqu’au bar « ADAM
et EVE » qui a été bâti par les
frères BAGHATTE dans leur cour. Mais ils ont dû couper
le magnifique litchi qui occupait cette place. « Souris » le
footballeur doué, qui était le buteur de l’INDIENNE
le club rival du SPORT-CLUB, m’accueille à bras ouverts
et me demande des nouvelles de Néné mon cousin et
de Vivi mon beau-frère qui étaient pourtant ses rivaux
d’alors. Je lui achète des sambos car c’est
là désormais qu’ils sont les meilleurs puis
je profite de l’arrivée d’un autre client pour
m’évader car je sais que j’ai encore pas mal
de lieux à visiter.
Je remonte dans mon pousse- pousse et son conducteur rigole à nouveau ;
en direction des usines de la ROCHEFORTAISE on passe entre les
2 jardins :j’avais souvenance d’un monticule de
chaque côté de la rue or ils sont à la même
hauteur celle-ci. Je me dis que la mémoire est vraiment
sélective et je décide de redescendre pour pénétrer
dans celui de gauche. Ma déception est encore plus grande
quand je réalise qu’il n’y a plus aucun parterre
donc plus aucune fleur car même les hibiscus qui sont pourtant
des arbustes ne sont plus là. Et je suis ébahi quand
je constate qu’à la vue de tout le monde des « pilleurs » retirent
des pans entiers de pelouse qui sont transbordés dans une
charrette déjà pleine à ras bord.
J’avance en direction des entrepôts PANIANDY et je
suis abattu de constater que la plupart des maisons sont au mieux
en piteux état voire en ruines et pire encore certaines
ont disparu, remplacées par d’affreux hangars :
exit celles des FELIX, des BEKY, des BOUVET, des MONGUY... La boutique
SAMONE est un boui-boui qui se présente comme étant
un restaurant !! La rue qui menait vers celles des EVENOR
et des GANGNANT est impraticable et aucune voiture ne doit pouvoir
l’emprunter.
Et le comble c’est l’état de la route : à hauteur
de la rue de la réunion, non seulement elle cesse d’être
goudronnée mais qui plus est elle se termine soudain sur
l’ancienne chaussée… à 50 centimètres
en contrebas !!! Il n’a pas beaucoup plu cette nuit
et le dénivelé est visible mais après les
fortes averses rien ne doit signaler ce fossé et j’imagine
les accidents potentiels.
Mais j’ai hâte de savoir dans quel état est
ma maison et je m’engage dans la rue de la réunion
persuadé de ne plus la revoir. La rue est un cloaque. Je
retire mes savates et je m’engage pieds nus dans le lac.
Mais MA MAISON est là, en piteux état mais toujours
présente et occupée. A sa gauche le vieux manguier
domine toujours le garage dont la porte tombe en ruine. Les tôles
sur le toit sont recouvertes de parpaings pour les retenir en cas
de cyclone ; à sa droite la cour des 2 litchis n’existe
plus remplacée par une extension en aussi mauvais état.
Devant l’escalier je n’hésite pas à interpeller
un occupant qui traverse la véranda ; Il ne comprend
pas quand je lui demande si je peux visiter la cour du moins jusqu’au
moment où je lui glisse un billet. Il m’ouvre le portail
et le cœur serré je pénètre sur la véranda
qui me paraît minuscule et je fais le tour jusqu’à l’escalier à coté de
la cuisine. Je redescends les quelques marches et dans l’eau
je fais quelques pas dans la cour pour apercevoir « mon
manguier ». Celui-là c’est vraiment LE
MIEN : je me vois encore plantant consciencieusement le noyau
dans une boîte de lait Nestlé, transférant
le petit plant dans des pots de plus en plus grands et enfin me
décider à le mettre en terre à l’endroit
même où 35 ans plus tard j’aperçois un
arbre magnifique de plus de 20 mètres.
Je suis fier de moi et je me mets à penser à mon
enfance :
- à maman bien sûr et à mes sœurs
qui me sont si chères,
- aux poules et aux canards que j’élevais au
grand dam des autres occupants,
- aux nombreux chats qui étaient d’ailleurs essentiellement
des chattes lesquelles venaient mettre
bas sur nos draps,
- à notre cuisinier, PATSY, qui avait été embauché par
notre grand-mère et qui faisait parfois aussi office
de nourrice. Sa femme vivait à DIEGO-SUAREZ et il était
fier de nous annoncer la naissance de « ses » enfants !!!
- aux araignées qui parfois la nuit nous courraient sur
la poitrine et aux rats qui faisaient du ramdam dans le grenier,
- aux 2 litchis dont l’un avait poussé au-dessus
des anciennes tinettes et dont la production était si belle,
- aux persiennes qui faisaient le tour de la véranda
pour nous protéger des regards indiscrets,
- aux mangues « maison rouge » qui, sur
le plan gustatif, n’ont pas d’égal et dont la
couleur était celle des toits au-dessus desquels elles mûrissaient…
Perdu dans mes souvenirs je ne réalise pas que, intrigués
par mes rêveries, tous les occupants de la maison se sont
groupés autour de moi et qu’ils se demandent ce que
ce « vazaha » fait là.
Quand enfin je me reprends je jette un dernier regard vers la
maison de LOUPY derrière le mur dont la fille Huguette partageait
nos jeux et je me décide à ressortir. Une fois dans
la rue, un peu choqué, je me demande si je ne vais pas m’en
tenir là et vite retourner chez ma sœur.
Mais j’ai encore le courage de faire quelques mètres
vers ce qu’il reste des maisons voisines : celles des
GRONDIN, des FAURE, des MONNIER, des GUENNE ( orthograhe ?).
J’aperçois les entrepôts de Maxime HOARAU où travaillait
maman et la boutique de Mr VOLVEIX qui nous faisait crédit
quand les fins de mois étaient difficiles et qui vendait
des sardines en boîtes de la marque ROBERT (elles étaient
si bonnes que jusqu’à présent j’ai de
la difficulté à apprécier celles de nos supermarchés)….Je
suis à la fois content d’être là et un
peu triste de voir mon quartier dans cet état.
Puis je me dis que les choses sont ce qu’elles sont, que
l’essentiel est que rien ne puisse un jour m’ôter
de l’esprit cette enfance de rêve que j’y ai
connue. Je réalise alors, qu’à la poursuite
de mon passé, j’en éprouve aucune réelle
tristesse à peine quelques regrets.
Mais il est plus de midi et il me faut rentrer. Au bout de la
rue j’aperçois mon pousse-pousse et je le hèle.
A travers les flaques d’eau il arrive jusqu’à moi
en riant de plus en plus : il se dit que son client d’aujourd’hui
est un original qui vient traîner là où désormais
les autres touristes ne viennent plus.
Sur le chemin du retour je spécule sur l’itinéraire
que j’emprunterai pour revoir les autres quartiers. Je me
remémore :
- les noms des rues : de la Réunion, Marmet, île
de France, Aviateur Goulette, de Lattre de Tassigny, du Commerce,
Nationale, lieutenant Noël, Lagougine,…Toutes elles
ont gardé le nom qu’elles avaient dans mon enfance.
- ceux des ruelles : la ruelle Papin qui débutait
rue de la Réunion entre les maisons des PAULET et de Mme
de SUMERA et qui finissait rue Lagougine sur celle des LACOUTURE,
la ruelle qui menait chez les GEORGET et celle qui conduisait chez
Hilda DURAND et les VIGOUREUX...
- ceux des places : de la Colonne, Bien-Aimée,
Mazavy…
Tous ces lieux étaient le théâtre de nos réunions
entre amis et de nos jeux et notamment des parties de cache- cache
en bicyclettes dans le dédale des rues à angles droits
si caractéristiques de la topographie du vieux TAMATAVE…
Je me demande quelles sont les rues que je vais prendre et dans
quel sens ? Quelles places vais-je visiter ? Toutes bien
sûr je ne pourrai en manquer aucune !!!
J’ai hâte de tout revoir et je suis heureux.
LA
VISITE DES AUTRES QUARTIERS :
Ce matin je me suis levé de bonne heure : je suis
pressé de poursuivre ma visite non terminée hier.
J’ai donné rendez-vous à mon pousse à huit
heures trente et il est temps que j’aille à sa rencontre.
Il est déjà là et quand il me voit il sourit ;
Cette fois j’ai décidé de passer par la plage
et au rond point de la maison de retraite je lui demande de filer
tout droit. Depuis hier, tout comme les litchis dans la cour de
ma sœur, j’ai l’impression que les flamboyants
sont plus rouges. Il faut dire qu’il a plu toute la nuit
et que ceci explique peut-être cela. Soudain une percée
dans la voûte des flamboyants me permet d’apercevoir
un drapeau qui claque au vent et ses couleurs sont bleu, blanc
et rouge : je découvre que le consulat de France est
maintenant installé près de l’ancienne villa
de Maxime Hoarau qui me paraît d’autant plus délabrée
que celle des BONFILS qui la jouxte est encore en excellent état.
Arrivé sur le front de mer je me décide à faire
un crochet à gauche jusqu’à l’hôpital.
La sortie du canal des Pangalanes sur la mer est complètement
bouchée et le mess des officiers a disparu. Quant à l’hôpital
il me semble en ruine. Il m’a été dit que les
malades doivent apporter draps, alcool, coton, que la famille doit
chaque jour apporter leur nourriture, qu’il vaut donc mieux éviter
d’y aller….
Avant la pointe TANIOT la route devient chaotique et le phare
a disparu emporté par un cyclone. Pourtant je voudrais
bien voir la caserne et je fais les derniers mètres à pieds
pour découvrir qu’il n’en reste plus rien ou
presque sinon une petite partie de son armature en ferraille qui
croule sous l’effet de la rouille.
On revient sur nos pas et repassant sur le canal je note en direction
des terres qu’il est quasiment couvert de jacinthes d’eau
et qu’elles sont si denses que des gamins s’amusent à marcher
dessus. Je me souviens alors avoir lu qu’entre TAMATAVE et
MANANJARY à plusieurs endroits la circulation n’est
plus possible tant elles ont envahi les canaux !!
Plus loin la résidence du chef de province vient d’être
repeinte et les villas qui se succèdent sont plutôt
bien entretenues. On arrive enfin à l’ancienne maison
FAKRA devenue l’hôtel NEPTUNE qui est aussi un casino
et qui jouit d’une bonne réputation. Pourtant
une armée de filles fait «le tapin » à son
entrée. Sur la mer je note une agitation fébrile
et je devine qu’un filet de pêche vient d’être
remonté. Je descends en vitesse pour m’associer aux
curieux ; c’est une pêche miraculeuse et des gamins
tentent de récupérer sur le sable les poissons qui
passent par-dessus le filet. Dans la main de l’un d’entre
eux un poisson se met à gonfler : « un bouftang » une
sorte de petit poisson-lune comme ceux que, gamins, on essayait
d’attraper justement pour les voir grossir sous l’effet
de l’air absorbé pour ensuite l’utiliser comme
un ballon ou comme un projectile à lancer sur un copain.
Notre école étant en bord de mer notre cour de récréation
c’était surtout la plage et, avec le ramassage des « tecs
tecs » (les tellines en Provence) et des carabos (une
sorte de scarabée des bords de mer), c’était
là un de nos jeux préférés.
Je reviens vers la route et un individu s’approche et me
propose de venir faire «un tour ».Je m’apprête à lui
dire que j’ai ce qui me faut quand il me montre un autre
pousse-pousse dans lequel une fillette me sourit. Je suis écoeuré et
je le lui fais savoir mais il s’en fout et repart en quête
d’une autre cible.
Cent mètres plus loin grande est ma surprise de constater
que l’enceinte du stade a été rehaussée
d’au moins trois mètres pour empêcher la fraude.
Si passer par-dessus la balustrade était autrefois assez
aisé c’est maintenant impossible d’autant que
des barbelés ont été posés en renfort.
Par contre, en face la piscine, qui était restée
fermée pendant plus de dix ans, vient d’être
ré ouverte et elle est flanquée de deux restaurant
celui de gauche, plus chic, étant tenu par des …Sud-Africains !!!
J’arrive ensuite à hauteur de l’avenue de l’indépendance
toujours agrémentée de son allée majestueuse
de palmiers. Les bâtiments de la météo, de
la SEAL (la compagnie norvégienne),
de La Compagnie Lyonnaise, d’AUXIMAD défilent tour à tour.
Puis je vois le cercle que mes parents ne fréquentaient
pas réservé qu’il était au gratin tamatavien.
Je repense « au bambou bar » pourtant détruit
alors que j’étais gamin et qui jouxtait …la
mosquée toujours aussi blanche et bien entretenue par la
communauté musulmane qui la finance.
Devant chaque bâtisse les souvenirs m’assaillent et
je pressens que mon cœur battra bientôt très
fort car j’arrive à hauteur de mon école SAINT-JOSEPH.
Je me précipite vers les classes : elles sont bourrées
d’enfants et ils sont très étonnés de
me voir passer. Presque toutes les vitres sont brisées.
Soudain un gamin sort en courant d’une des classes, se précipite
sur la cloche encore en place et se met à la faire
sonner. Rien n’aurait pu autant me faire plaisir et j’écrase
une larme de joie. Je me souviens alors que « de
mon temps » c’était ROGER qui avait cette
charge et s’en acquittait avec fierté.
Devant chaque classe je soliloque et je remonte le temps :
la douzième, la onzième,..jusqu’à la
septième au rez de chaussée. Je monte les escaliers :
la sixième, la cinquième…jusqu’à la
première à l’étage. Fréres Michel,
Robert, Léon, Luc, Justin, Nivardo, Alfred, Gaston, Landéol,
Clément, Emile…nos instituteurs. Idem pour nos professeurs :
Ignace dit « Balabale », Jean que l’on
surnommait Babeuf comme ce révolutionnaire qu’il admirait,
Léonard qui nous faisait aussi chanter à l’église
et Joseph le dernier directeur que l’on ait connu avant d’être
dans l’obligation de rejoindre le lycée, notre pire
ennemi, pour y faire notre terminale…
Pour toute notre génération les frères des écoles
chrétiennes ont beaucoup compté. Et si j’ai
oublié le nom de certains d’entre eux JAMAIS je n’oublierai
tout ce que je leur dois.
La cour de récréation, elle, me paraît minuscule
et le portique, s’il est encore debout, tient par miracle.
Derrière je situe l’endroit où était
installé « le caboulot » où on
achetait le « pain pâté ». Je
foule le terrain de volley et arrivé sur celui du basket
je me place sous le panneau. Je ferme les yeux et je
revois ces matchs où il me fallait compenser ma taille
par mon adresse au tir et ma foi je me dis que je me débrouillais
plutôt bien…
De l’autre côté de la rue du commerce les arcades
croulent sous le poids des ans et je repense à BABA CRESCENCE
la coiffeuse, infirmière, cuisinière qui savait et
sait encore tout faire et qui est ma seconde maman.
Je me dirige vers l’église et je découvre
que sous l’immense banian il n’y a plus la croix et
qu’un mur barre l’entrée de l’école
des sœurs.
J’entre dans l’église par la petite porte
sur le côté et je suis à nouveau déçu
de la découvrir aussi petite. Mais elle est bien entretenue.
En remontant l’allée centrale je lève les yeux
vers l’orgue de la tribune et je me rappelle que pour la
faire fonctionner il fallait « pomper » à tour
de rôle. Frère Landéol l’organiste attitré !
il faudrait un roman pour raconter toutes les « histoires » que
ce nom évoque dans les mémoires de tous les élèves
qui sont passés sous sa coupe : ma sœur la brise,
casse-cou jusqu’à bambou bar, firy fautes (combien
de fautes, la question qui tue après la dictée)….les
initiés comprendront.
Je ressors de l’église côté mer
par le grand escalier et je m’époumone à héler
mon pousse qui s’inquiète de ma disparition depuis
au moins une bonne demi-heure. Il arrive en courant … et
en riant.
Je traverse la chaussée et par la plage je me rends au
club nautique. Toutes les installations ont été maintenues.
Mais la plage s’est agrandie. Maintenant on peut même
pénétrer dans le port la plage débordant largement
la barrière qui nous en interdisait l’entrée
autrefois.
Quant aux bateaux du môle C ils sont si proches qu’un
jet de pierres pourrait les atteindre et d’importants travaux
de dragage sont régulièrement nécessaires
pour empêcher un ensablement total. Mais il s’agit
d’un problème endémique car déjà quand
j’étais enfant j’allais voir « travailler » les
deux dragueuses en fonction autrefois. Et je ne sais plus pourquoi
on les avait dénommées respectivement « nenène » (la
nurse) et « zazakely » (l’enfant) et
il ne serait pas étonnant qu’elles soient encore en
fonction.
Mais le temps passe et presse et remontant dans mon « véhicule » je
voudrais bien accélérer la cadence. Mais la route
qui longe la barrière qui enserre le port est complètement
défoncée et inondée et mon « conducteur » a de
l’eau à hauteur des genoux et il peine à avancer.
Au rond point devant l’entrée du port c’est
le bouquet : c’est midi et les manafo (dockers) rentrent
chez eux. Par centaines ils quittent l’enceinte en pataugeant
dans un lac au milieu :
- des camions qui font la queue pour entrer dans le port,
- des bicyclettes qui doivent être poussées tant
l’eau est haute,
- et… de dizaines de pousse-pousse qui attendent
probablement la sortie des marins car un gros bateau a accosté ce
matin et ils n’ont plus le droit d’aller les récupérer à la
passerelle comme autrefois.
Pour rejoindre le début de la rue de la réunion
c’est l’horreur. C’est un lac qui s’étend devant
la cité du port et pour le traverser j’ai tout le
loisir d’observer les villas où ont vécu les
LAVICTOIRE, mes cousins et plus tard mon copain Jean-Pierre SCHWARTZ
et Monique PONTIOT.
Mais si je pensais avoir fait le plus dur je ne suis pas
au bout de mes surprises : la rue de la Réunion me
semble être le lit d’une rivière dont le courant
mène l’eau en direction de la place Bien-Aimée.
Je tente de situer les maisons créoles que je fréquentais :
celles des SERTIER, de Geneviève MAILLOT, des EVENOR, des
CLEF où maman a vécu quelque temps, des BAZEILLAC
enfin celle de Denise MAILLOT et pour la plupart elles ont disparu,
remplacées par des baraques recouvertes de tôles rouillées
et parfois même de falafa (feuilles de ravinala). J’en
pleurerais.
En arrivant place Bien-aimée je crains le pire : on
m’a dit qu’elle était devenue un dépotoir.
Mais elle a été nettoyée…ou presque.
Je décide d’en faire le tour. Les Banians sont majestueux
et je regrette de ne pouvoir aller me suspendre aux lianes comme
autrefois.
Mais elles sont toujours là et je souris : en effet
je me souviens que j’avais eu le tort de m’en
vanter auprès de mes cousins plus âgés et ils
m’avaient affublé du surnom de « Johnny
la fesse muller ». De l’ancienne BNCI il ne reste
que les poteaux en ferraille et à sa droite sur un mur je
devine un mot magique KIRAVI : l’affreuse bibine
qui se prenait pour du vin !! De l’autre côté vers
le « bar de la marine » des gargotes se sont
installées au bord de la route et les premiers dockers s’y
arrêtent pour déguster des « mofo gasy » (sorte
de pain à la banane) et des beignets dont l’odeur
embaume toute la place.
Cette fois ce sont les maisons des RICARD, des DURAND et des VIGOUREUX,
des PAULET, De Mme de SUMERA que je tente de resituer. La ruelle
Papin qui mène chez les LACOUTURE via les maisons des ENSEL,
des LACORDAIRE et des CHAN-KIN est bien entendu impraticable
et devant la boutique CHAN-WING je demande à tourner à droite
pour revoir la place Mazava (nom tiré de celui du quartier :
AMPASIMAZAVA). Autant la place Bien-aimée, même enlaidie, était
reconnaissable autant j’ai l’impression de découvrir
un nouveau territoire inconnu dans ma mémoire : je
vois une plaine qui me paraît minuscule, avec bien entendu
plus aucune fleur ni pelouse, sur laquelle picorent des poules,
broute une vache et où même un cochon semble chez
lui.
Je contourne par la gauche cette place qui était autrefois
un magnifique jardin ; je le traversais quatre fois
par jour pour aller et revenir de l’école matin, midi
et soir, et je suis effondré. La bureau de Maître
NATIVEL devant lequel flotte un drapeau semble devenu un consulat
et la rue Lagougine est, elle aussi, inondée. La maison
de Mlle HOAREAU qui nous donnait des cours de rattrapage pendant
les vacances n’a presque pas bougé mais pour l’essentiel
elle était en « dur ». Je reviens
devant le CCC (l’école créée par le
père ELHORGA) et je retrouve la rue de la Réunion
au droit de la maison des LEYRITZ. Je peste encore car la vigie
5 sur la place est devenue un mpivarotra (boutique).
Au loin j’aperçois à nouveau ma maison et
je décide de ne pas y retourner mais de filer à droite
vers la place de la Colonne. Si la stèle au milieu de cette
dernière est encore debout elle est devenue un poteau en
pierre qui émerge au milieu des « Bozaka » (de
la broussaille) ; Un panneau annonce qu’une association
d’anciens de TAMATAVE ( ?) va bientôt la restaurer
et elle en a bien besoin.
De l’autre côté de la rue c’était
le Garage de Mr TYACK et sur un mur on devine les mots « voitures
FIAT ». Mais que dire des maisons qui entourent ce qui
reste du jardin : celle du tailleur Mr BENARD rasée ;
celle des LE HOUSSEL rasée ; et les autres maisons
plus loin rasées !!! Autant la veille, en dépit
des dégâts constatés, j’étais
malgré tout heureux autant aujourd’hui c’en
est trop et je ne peux plus supporter d’en voir davantage.
Dans un dernier élan de courage je me décide de
remonter jusqu’à la rue du commerce puis après
un coup d’œil sur la rue Aviateur Goulette j’emprunte
la rue de l’école chinoise. Elles sont toutes défoncées
et je suis content de rentrer.
Pourtant tout au long du chemin du retour je me raisonne, je fais
la part des choses et je finis par me satisfaire de ce bain de
jouvence que je viens de prendre. Perdu dans mes pensées
je me dis que malgré mes déconvenues successives
c’est tout mon passé qui ressurgit. Tous les
bons souvenirs reprennent alors le dessus et chaque évocation
en appelle une autre.
Et je réalise à nouveau que ce que je savais déjà :
rien au monde ne pourra jamais m’ôter de la tête
ma maison, mon école, mes copains, les parties de cache-cache à bicyclette,
les cours où selon les saisons on allait voler des mangues,
des litchis et des jujubes, les parties de basket au Sport-Club….
Tout se bouscule dans ma tête mais je sais que ma jeunesse
puis mon adolescence sont deux trésors que je dois à la
ville de mon enfance, à TAMATAVE si chère à mon
cœur.
LA VISITE DU MARCHE :
Le Bazar Be ! (Le grand BAZAR). Cela fait 2 jours que je
suis arrivé et je me dis qu’il est urgent d’y
aller. Cette fois c’est ma sœur Josette qui m’emmène
en voiture et elle a pris le parapluie car le ciel est menaçant.
On se gare sur le boulevard Joffre et soubiques (paniers) et parapluies à la
main on s’y rend ; Il nous faut avant tout décourager
les gamins qui se proposent de « garder » la
voiture.
La première halte est pour les boutiques d’artisanat
local et les «mpivarotra » regorgent de souvenirs
entassés pêle-mêle : broderies, sculptures,
soubiques, voitures faîtes à partir de boîtes
de conserve….
Bien entendu tout se marchande, ce que je déteste, et il
faut presque diviser les prix annoncés par deux. Malgré la
qualité qui laisse parfois à désirer j’ai
envie de tout acheter. Ma sœur me précise qu’il
vaut mieux « regarder », me faire une idée
des prix et de ce dont j’ai envie, et de revenir car les
marchands vous reconnaissent et la « négociation » en
est facilitée.
On traverse la rue sous la pluie qui s’est mise à tomber
en trombes pour pénétrer dans le marché côté boucherie.
Profitant de l’eau du ciel un boucher est en train de laver
de la viande dans le caniveau. Josette est horrifiée mais
cela me fait sourire et je lui fais remarquer que l’eau de
pluie est sans doute plus propre que celle dans les seaux
sur les étals qui sert au même usage. En effet la
pluie a probablement énervé les mouches et elles
sont si excitées que pour les chasser les bouchers arrosent
leurs marchandises avec des Kapoakas d’eau (boîtes
de lait Nestlé vides) tout en agitant fébrilement
des queues de bœufs pour les repousser.
Puis on arrive aux fruits et légumes et mes yeux ne sont
pas assez grands pour tout regarder. C’est magnifique et
je suis extasié de voir la quantité de marchandises.
En les voyant certains noms en malgache me reviennent : mananasy
(ananas), brèdes mafany (base du Romazava plat national
malgache), chouchous (chayottes), akondro (bananes), avocats, manioc… Mais
s’il y a des mangues il n’y en a pas de la variété « maisons
rouges » de loin la meilleure. C’est encore trop
tôt et le marchand m’en promet pour…bientôt.
Il n’y a pas non plus de voasary (oranges) mais je sais que
leur saison c’est dans quelques mois. On nous propose aussi
des Akoho (poulets) vivants. Les malheureux sont suspendus, pattes
ficelées et tête en bas, en attendant…qu’elle
soit tranchée.
Mais Josette n’est pas venue pour s’extasier et je
lui propose qu’elle m’accorde 10 minutes pendant qu’elle
fait ses courses.
Un rendez-vous fixé je me dirige vers l’entrée
opposée vers les arcades de l’autre côté de
la rue. Pour rejoindre celles-ci je longe les gargotes où les
marchands viennent déjeuner.
Je constate que si du riz est proposé il y a aussi souvent
au menu …de la soupe chinoise : le prix du riz ayant
tellement augmenté les plus pauvres se rabattent sur les
pâtes qui coûtent beaucoup moins cher. Quand on sait
combien le malgache aime le riz on imagine dans quelle situation
est le pays !
Puis je traverse la poissonnerie où il y a peu de poissons
mais pas mal de crevettes vendues « au tas » et
des crabes de palétuviers. J’en achète car
ils me paraissent bon marché ; le poids comprend autant
de boue que de crabes ce qui en double le prix. Il n’y a
pas de petits profits !
Je traverse la rue encombrée de marchands de CD et je tombe
sur un coiffeur : l’ex atelier de Mr MAFFRE ? Je
repense alors à deux anecdotes qui ont fait le tour de la
ville et qui l’ont rendu célèbre :
- la première narre celui-ci précisant à ses
clients que « dans tout MADAGASCAR il n’y qu’un
seul MAFFRE : mon frère et moi !!
- la seconde encore plus « délicieuse » concerne
sa mésaventure avec une « demoiselle » (dont
je tais le nom mais tous les anciens la connaisse) qu’il
avait traînée au tribunal. Le président ayant
demandé à celle-ci : reconnaissez vous avoir
mordu les testicules de Mr MAFFRE ; elle lui avait alors
rétorqué : testicules ? testicules ?
Une merde moi la morde son graine !!!
Je cherche ensuite à situer l’ancien garage D’UNIENVILLE.
C’était en fait un garage à vélo car
il en avait déjà beaucoup. Il était tenu par
le père à Kiki un boulliste hors pair, tireur d’élite
coéquipier de Mr de LA GIRODAY et de ???. Ils ont longtemps
dominé ce sport non seulement à TAMATAVE mais dans
toute la Grande île voire dans l’Océan Indien.
Mais cette évocation des bicyclettes me ramène à ses
deux concurrents :
- Mr GERLY encore une célébrité pour
différentes raisons et grand amateur de chevaux,
- et les BOFF dont les fils Gaétan et Baba étaient
mes amis.
Et ce dernier nom m’amène à Marie-Louise BOFF,
leur cousine, ma copine d’enfance qui était capitaine
de l’équipe de Basket féminine du SPORT-CLUB.
Je l’ai rencontrée hier et cela m’a causé bien
de la peine : devenue « poivraude » et
presque clocharde elle traîne dans les rues de TAMATAVE en
interpellant les passants. Mais quand je suis allé l’embrasser
elle m’a aussitôt reconnu et demandé des nouvelles
de « colo » (ma sœur et sa partenaire),
de « vivi » (le mari de celle-ci) et de « Néné » (mon
cousin leur entraîneur). Les larmes aux yeux elle a aussitôt
retrouvé ses esprits et reconstitué sans problème
mes liens familiaux ce qui prouve qu’elle n’est peut être
pas aussi « cinglée » que l’on
en dit. Par contre elle m’a aussitôt demandé de
lui offrir une bière et attablée à la
terrasse de l’hôtel JOFFRE elle se sentait fière
de se trouver à mes côtés ce qui était
une façon de faire un pied de nez à ses détracteurs.
Mais dès le premier verre avalé son esprit s’était
très vite égaré et ses propos étaient
redevenus quasi incompréhensibles. L’alcool avait
repris le pouvoir.
Perdu dans le souvenir de cette rencontre j’arrive devant
chez MONG TIONG l’importateur de bibelots chinois dont la
vitrine est quasiment vide et je traverse pour me retrouver devant
la boutique de CHAN KIVE.
Mais les dix minutes accordées par ma soeur sont déjà écoulées
et il me faut me rendre sous les arcades devant l’ex pharmacie MONDY
où elle m’attend .Là se trouve ce que je recherche :
un marchand non pas de rêves mais de « songes » des
racines grosses comme des pommes de terre et dont la chair violette,
une fois cuite, est pour moi un régal au petit déjeuner
lorsqu’on la déguste avec du beurre salé. Josette
m’attend mais le vendeur n’est pas là. Je
suis déçu mais je reviendrai mon envie est trop forte !
Pour rejoindre la voiture il y a encore cent mètres à parcourir
les soubiques chargées de provisions. Des gamins se proposent
cette fois de nous servir de porteurs et ils sont si collants qu’il
me faut presque me fâcher pour les repousser. Mais je m’en
veux aussitôt et aux plus petits je glisse les pièces
sans valeur qui sont lourdes dans ma poche. Ils sont pourtant ravis.
Arrivés sur le boulevard JOFFRE il y a un immense
trou au milieu du carrefour et je m’étonne de ne pas
l’avoir vu quand j’y suis déjà passé.
Mais Josette me précise que « tout » TAMATAVE
le connaît et que le danger ce sont ceux, moins connus, situés
dans des rues moins passantes et où les mauvaises surprises
sont parfois au rendez-vous.
Josette fait encore quelques courses chez son « chinois » à l’angle
de la rue pour y acheter de la THREE HORSE BEER, la THB dont les
zanatany ont un si bon souvenir. Elle a un coup au cœur quand
le commerçant lui demande si je suis son fils et celui-ci
mesure à peine l’incongruité de sa question
quand elle lui précise qui je suis.
Il faut encore qu’elle aille chez le boucher récupérer
un filet de bœuf et j’en profite pour retourner chez
THIA TONG faire une provisions de vivilles et de chocolat ROBERT
pour en ramener à mes amis d’enfance qui en seront
si contents.
Et il faut enfin rentrer. Les soubiques sont lourdes ; les
courses ont été effectuées en fonction de
mes goûts : ma sœur aime faire plaisir à son
petit frère ! Je jette un coup d’œil sur
leur contenu et je me régale à l’avance des
crabes, des chouchous, du romazava et de tous ces bons petits plats
qui m’attendent pendant mon séjour.
Je me dis que malgré le découragement, finalement
passager, ressenti la veille TAMATAVE a quand même
du bon et je me régale à l’avance.
Vivement qu’on passe à table !! |