SOUVENIRS, SOUVENIRS (FAHATSIAROVANA)…. N. MAVROLEO        le  08/03/2006

INTRODUCTION

Ce récit (écrit à la fin 2005 dans l’avion en partance pour LA REUNION) relate non ce dernier voyage  mais celui effectué il y a quelques années déjà lors de mes retrouvailles avec mon passé. La mémoire m’ayant cependant parfois fait défaut ce dernier retour aux sources m’a cependant permis de le compléter voire de rectifier certains erreurs car on a naturellement tendance à embellir le passé.

Bien sûr depuis bien des choses ont changé :

  • la place du marché a été complètement refaite,
  • les routes principales ont été goudronnées,
  • à mon grand désarroi ma maison a été détruite et mon manguier abattu,
  • une piscine est venue embellir le club nautique,
  • le cercle a été restauré,
  • mais aussi ma copine Marie-Louise BOFF est décédée….Ainsi va la vie.

Par ailleurs dans la liste des familles qui habitaient mon quartier j’ai oublié certaines d’entre elles et malgré des efforts je n’ai pu toutes me les remémorer. La mémoire est sélective et que celles que j’ai oubliées me le pardonnent.

Par ailleurs ma méconnaissance de la langue malgache, ce qui n’est pas très glorifiant pour un zanatany (étranger né au pays), doit avoir généré de grossières fautes. Que mes amis malgaches et linguistes me le pardonnent. Car si mon cousin Néné, spécialiste à ce sujet, en a corrigé certaines d’autres sont probablement passées à travers les mailles et  mes lecteurs me permettront de les rectifier.

Pour mieux comprendre les lignes directrices de ce récit son sommaire est le suivant :

  • Mon arrivée à TAMATAVE,
  • Mon ancien quartier,
  • La visite des autres quartiers,
  • La visite du marché.

MON ARRIVEE A TAMATAVE :

Cela fait une heure que notre avion a décollé de l’aéroport de Gillot à SAINT DENIS DE LA REUNION et par le hublot je commence à scruter l’horizon : je veux apercevoir la Grande île dès qu’elle y apparaîtra.

Mais entre ciel et mer j’ai du mal à faire la différence ; je patiente quelques minutes et soudain une sorte de mirage vient rompre l’harmonie entre le bleu clair du ciel sans nuage et le bleu vert de l’Océan Indien : MADAGASCAR est en vue. Puis progressivement ce halo prend forme : j’entrevois enfin au lointain les premiers contreforts de la côte EST.

Soudain une ligne blanche s’intercale entre mer et terre : la plage !! Elle s’étire bientôt sous mes yeux et les vagues l’assaillent. Par opposition à cette agitation de l’autre côté d’une langue de terre qui semble interminable j’aperçois une eau calme : le canal des Pangalanes s’étire entre lacs et marécages. En me penchant légèrement je crois aussi voir les restes du CATINAT. Mais je sais bien qu’il y a longtemps que le sable a englouti son épave et que c’est celle d’un autre navire qui, suite à récent cyclone, tente désormais de résister à l’assaut des vagues. Le CATINAT !! Les souvenirs des pique-niques non loin de son épave me reviennent en mémoire.

Mais je n’ai pas le loisir de m’attarder sur eux car juste sous l’appareil une île transperce l’Océan : l’îlot PRUNE est là sous mes yeux ! J’entrevois son phare blanc et le récif de corail qui l’enserre complètement. Je réalise alors que je ne suis pas du bon côté et que je ne pourrais pas voir TAMATAVE. Je me console en attardant mon regard sur l’estuaire du fleuve IVOLOINA à moitié ensablé ; je suis son cours à l’intérieur des terres et je vois alors le pont qui l’enjambe.

L’avion vire alors sur la gauche et ce sont les marécages qui entourent l’aéroport qui s’étalent sous l’appareil. Je devine des centaines de « viha » (plantes des marécages) qui  bordent les étangs et je repense aux parties de chasse dans leurs dédales à la poursuite des tsiriry, les canards sauvages, qui pullulaient dans ma jeunesse et qui sont paraît-il devenus si rares. Mais déjà l’avion pique du nez et atterrit.

Quand ses portes s’ouvrent l’aérogare me semble inchangé quoique très abîmé par les outrages du temps. Encore quelques marches à descendre et je foule la terre où je suis né. Si je m’écoutais je ferai comme le Pape et je me pencherai pour l’embrasser. Mais c’est du goudron que j’ai sous mes pieds et d’énormes tâches de cambouis calment mon enthousiasme.

Je me hâte pour arriver parmi les premiers afin d’acheter et de remplir ma demande de visas sans trop de bousculade. Puis c’est la foire d’empoigne pour récupérer mes bagages car de nombreux porteurs se proposent de « m’aider ». Assez curieusement les opérations de vérifications d’identité se déroulent assez vite. Bien sûr il faut quand même montrer quatre fois son passeport sur quelques mètres mais elles sont moins tatillonnes que celles que les touristes doivent supporter à leur arrivée à TANANARIVE. Je résiste à quelques demandes de bakchichs de la part des douaniers et je réussis à m’en sortir.

L’aérogare grouille de monde : outre les parents et amis venus accueillir les voyageurs une armée de porteurs, de chauffeurs de taxis, de curieux et même de mendiants sont là. Au milieu de la foule je souris en apercevant ma sœur Josette et je l’embrasse.

Une dernière agression des quémandeurs qui me crient « porteurs vazaha » (par opposition aux malgaches l’homme blanc), « taxi vazaha » et je trouve devant moi un gamin en guenilles qui me supplie en criant « mangataka (svp) vazaha ». Je lui glisse une pièce de 2 euros et fou de joie il se sauve de peur que je la lui reprenne ou que d’autres adultes la lui extorquent. Ma sœur me fait alors remarquer que je viens de lui donner l’équivalent d’un dixième d’un SMIC malgache. Je me promets alors d’accepter en repartant d’échanger les pièces en euros qu’on nous propose contre des billets d’euros qui sont les seuls acceptés par les banques locales.

Sur la route qui mène à la ville ma première réflexion est de constater que la circulation y est intense et les embouteillages nombreux : la chaussée grouille de pousse-pousse (il y en aurait 5000 actuellement), de charrettes à boeuf, de bicyclettes, de carrioles, de taxis aussi délabrés les uns que les autres. Les voitures doivent faire du gymkhana pour avancer d’autant plus difficilement que des piétons, insouciants du danger qu’ils encourent, traversent la rue sans arrêt.

A la hauteur de la route qui mène à « tahiti kely » on n’emprunte plus le boulevard de front de mer (emporté par un cyclone il y a quelques années les crédits pour le reconstruire n’ont jamais été trouvés), mais l’ancienne route de SALAZAMAY bien trop étroite pour supporter une telle circulation. L’église de SALAZAMAY elle, par contre, a été retapée et vers la plage il me semble apercevoir l’ancienne maison des TYACK.

Puis on croise les chemins de terre qui mènent à l’hôtel MIRAMAR et au lycée RABEMANANJARA où j’ai passé mon Bac et que je me promets d’aller visiter. Par contre tous les « fataka » (bois) où on allait ramasser des goyaves de chine ont été remplacés soit par de superbes villas soit par des centaines de cases en FALAFA (feuilles de ravenala, l’arbre du voyageur, dont la feuille est utilisée pour recouvrir les maisons). Mais surtout tout le long de la route tous les dix mètres il y a un « mpivarotra » (boutique malgache) où l’on trouve beaucoup de nourriture mais aussi des pneus, des sièges de voiture, des outils, des bicyclettes,des matelas…bref de tout.

Soudain lors d’un ralentissement mes narines frémissent à l’odeur des « masikity » (brochettes) et je souris en croisant le rôtisseur (!!!) grillant ses brochettes au bord du chemin au milieu des vapeurs d’essence.

On traverse le pont sur le canal des pangalanes et je tente vainement de retrouver la maison des PITOU désormais masquée par les mpivarotra installées presque sur la route. Plus loin c’est le haras ou ce qu’il en reste car je n’y vois pas l’ombre d’un cheval. En face de la vigie (poste de police) N° ?, devenue un vidéoclub (!!), le sentier qui mène à l’ancienne maison de la famille MICHEL est un véritable cloaque. Je repense à mon ami Jean-claude mais aussi à sa sœur Marlène un beau brin de fille avec des tâches de rousseur.

Puis défilent les nombreuses cases créoles ou plutôt ce qu’il en reste : à droite la maison sur pilotis des DESSAIGNES, à gauche celle des SABATIER….

Après un dernier périlleux passage entre deux rangées de pousse-pousse on arrive enfin au rond-point devant l’ex garage MOTUT non loin des cités DUPLEIX et du Port (encore dénommée la cité MARABOUT) d’où part la route vers la cité DESJARDINS. Tous ces noms chantent dans ma tête et je suis content qu’ils me reviennent aussi facilement.

Ma sœur habite désormais là dans la cité GUYARD qui se limite à quatre villas identiques le long d‘une impasse. Son pied de litchis est couvert de fruits mais ils sont à peine rouges. Comme je suis venu pour participer à la campagne de litchis je m’inquiète pour leur maturité. Elle me rassure en me disant que, s’il fait beau aujourd’hui, il a plu cette nuit et les jours précédents et qu’ils seront donc mûrs dans trois jours date à laquelle celle-ci doit commencer.

Ce délai je me promets alors de le consacrer à redécouvrir MON TAMATAVE.

Mais je suis fatigué par le voyage et par déjà tant d’émotions. Il est 18 h et il commence à faire nuit. Demain il sera temps pour moi d’aller errer dans les rues et ruelles vers les jardins et les places, tous ces lieux qui ont bercé mon enfance.

Mais avant de m’endormir je tenterai d’anticiper ma visite en me remémorant chaque maison, ses occupants, les arbres fruitiers présents dans chacune des cours.

 

Mais je sais aussi que mon cœur battra très fort en arrivant dans la rue de la Réunion puis lorsque je m’arrêterai au N° 24 devant cette case créole couverte de tôles rouges qui était MA MAISON.

MON ANCIEN QUARTIER :

Ce matin je me suis levé tôt. J’ai hâte de revoir mon quartier et en même temps j’ai peur d’être déçu.

Pour ces retrouvailles je n’ai pas voulu prendre la voiture de ma sœur car je pense préférable d’y aller en pousse-pousse afin de mieux observer, mieux sentir et mieux rêver. Qui plus est afin d’avoir tout mon temps j’ai même décidé de louer mon pousse-pousse pour la matinée (le pousse-pousse est le véhicule et le pousse celui qui le conduit).

A peine parvenu au niveau de la rue trois d’entre eux se précipitent à ma rencontre pour me proposer leur service. Je choisis le  plus âgé. Pour négocier le prix je lui glisse quelques mots en malgache pour lui faire comprendre que je ne suis pas un touriste ; surpris mais pas pris au dépourvu il m’annonce malgré tout le double du prix que le gardien m’a conseillé. Mais le double de pas grand-chose ce n’est pas grand-chose et c’est ma première dépense ; je décide donc de ne pas discuter tout en lui confirmant bien que je souhaite m’arrêter aussi souvent que j’en aurai envie. Il acquiesce en souriant (il aura le sourire tout au long de la matinée) et il me plaît déjà.

C’est un ANTAIMORO (tribu du sud-est) comme la plupart des pousse-pousse de TAMATAVE car ce métier est bien trop « dur » pour les BETSIMISARAKA (la tribu locale). On dit qu’ils sont solidaires et parfois agressifs. Pas le mien qui s’avère être très avenant. Il me dit qu’il a 35 ans. Je pensais qu’il en avait 50 !!!

Il fait beau, il renverse la capote et je m’installe. Je suis un peu surpris quand il soulève « mon véhicule ». J’avais oublié….

Il commence à peine à marcher quand un vent léger se met à souffler et un kapokier voisin en fleurs nous envoie dans la figure des centaines de petites touffes blanches qui jonchent déjà le sol. Je  repense alors aux oreillers en kapok de notre enfance.

Quelques mètres plus loin je lui demande de tourner à gauche en direction du gymnase ; c’était le théâtre des matchs de basket disputés dans les rangs du « SPORT-CLUB » et de volley dans ceux de « SAINT-JOSEPH SPORT ». Les noms de mes anciens coéquipiers se bousculent dans ma tête : SAINT-BERTIN, VESTALYS, COCO, GILBERT ABOIN de son surnom BOINA, ECLAPPIER, DANDRADE, FAFANE, HENRI, FIFILS…. En arrivant devant cette bâtisse je crains le pire ; miracle il a retrouvé son toit. On m’avait dit qu’il l’avait perdu il y a deux ans suite à un cyclone. Mais, de l’autre côté de la rue, le dojo est dans un triste état et la nature y a repris ses droits.

Par contre en face une immense coupole flambant neuf : c’est celle d’une mosquée qui a été construite juste à côté  de l’église de la maison de retraite. C’est mon neveu RENAUD qui l’a bâtie et je la trouve très belle. Celui-ci comme son père est un fameux joueur de boules. Mais, si ce dernier a été plusieurs fois champion de MADAGASCAR en triplette son fils, lui, peut s’enorgueillir d’un titre de champion de France en doublette.

Revenant sur nos pas on croise la maison de retraite et je repense alors à notre « nénène » (nurse) Mme GELIUS une vieille créole qui y a finit ses jours. Tous les jeudis midi elle venait déjeuner à la maison ; elle arrivait en pousse c’est souvent moi qui la ramenait…en vélomoteur : assise sur le porte bagage elle s’accrochait à mon dos et elle était fière de ce périple. Avant de la quitter je lui glissais le petit billet que maman avait préparé à son intention et elle me regardait partir en me suivant longtemps du regard.

Arrivé au rond point je demande à mon « conducteur » de s’engager dans l’avenue JOFFRE. Les flamboyants ont quelques fleurs. Les dernières ? Non ce sont les premières car on est en novembre et ici bientôt ce sera l’été ; leurs fleurs rouges/orangées étonneront peu les Tamataviens quelque peu blasés, mais elles éblouiront par contre les touristes.

Tout au long du chemin je tente de me souvenir des différentes familles qui habitaient dans ce quartier :

-  la grande maison des DUBOIS,

-  en face le bâtiment militaire du PRINTANIA en piteux état,

-  derrière la belle villa des de ROBILLARD,

-  la grande maison créole des GASPARD,

-  la villa de BIESSY mes cousins.

- Quelques centaines de mètres plus loin l’ex cour du dentiste Mr RICHETTA où un cytise couvert de fleurs jaunes retient mon attention,

- la maison et le bureau des DI QUAL,

- la villa des CERVEAU…

 

Mais des rires étouffés attirent mon attention : des « filles » se pavanent sur le trottoir. Il n’est pas 9h du matin et il n’y a pas d’heure pour les braves : elles attendent les clients attablés au bar de l’hôtel PLAGE voisin qui prennent leur petit-déjeuner. En croisant cette terrasse j’ai une pensée pour les LAGRAVE qui en ont été les propriétaires pendant si longtemps et surtout pour Josette ma voisine puisqu’elle réside désormais à  SANARY.

Puis on longe le stade et devant le terrain de boules un café « le bar de l’univers » (tout un programme) s’est installé. Suite aux orages de la nuit le sol est jonché des dernières fleurs tombées des « Cendragons » qui forment une voûte ; et c’est sur un superbe tapis jaune que nous rejoignons l’avenue de l’Indépendance.

Juste avant celle-ci, à la place du jardin, le tribunal s’est agrandi d’une annexe et je frémis en découvrant que la villa d’en face est maintenant un centre anti-sida.

Quant à l’ancienne banque Franco-chinoise c’est maintenant la BFG, une filiale de la SOCIETE GENERALE. D’ailleurs toutes les grandes banques françaises (à part le CREDIT AGRICOLE) ont ici pignon sur rue ce qui démontre, malgré tout, notre influence dans notre ex-colonie.

Puis en face de la grande bâtisse où était installé Mr DESHAYES le panneau du RITZ est toujours en place bien que les deux cinémas soient fermés depuis des lustres remplacés désormais par la télévision.

En croisant la rue suivante qui mène à la mer j’adresse un coucou à la famille WELMANT dont la cour était magnifique avec des capillaires de toute beauté, des crotons multicolores et des anthuriums gros comme une main; Ils avaient aussi des tortues et des perruches et à partir de quelques couples qu’ils m’avaient donnés j’avais fini par en avoir plus de 200 dans la cage immense que j’avais installée dans la véranda de la maison. Et je repense à mamie qui préparait à mon intention « des bâtons de morongy au lard » dont je suis resté friand et à papy amateur de pêche cavale le soir au lamparo.

Plus bas je croise la vitrine de la compagnie Générale de Mr Roland LOUIS où étaient exposées toutes les pierres de MADAGASCAR. Dans la cour de sa maison voisine c’est avec du quartz rose que sa femme avait confectionné les bordures de son jardin et c’était du plus bel effet.

Je demande alors à mon « conducteur » de me déposer et de me suivre ou d’aller m’attendre devant le cinéma RIO. Il rigolait de me voir m’extasier à chaque coin de rue mais cette fois il est hilare à ma demande. Il préfère quand même me suivre du regard de peur de voir s’envoler le prix de la course.

A pied je m’engage sous les arcades : les étagères de la pharmacie (ex DUMAGNOU) me semblent bien vides et une agence de voyage vante les mérites des hôtels de FOULPOINTE. Plus loin chez SAIFI je rentre « pour voir». Je suis déçu de ne pas trouver en vitrine les brioches au sucre et les gâteaux secs en forme de S qui faisaient les délices de nos goûters. Mais en face chez THIA TONG qui a conservé son nom j’achète des « vivilles » les petites pastilles à la menthe de mon enfance.

Je décide alors de ne pas aller aujourd’hui au marché et de lui consacrer une matinée. Sur le même trottoir l’Hôtel SOMARIA est devenu un magasin et en face la librairie FAKRA est toujours là. Des mendiants attendent les passants à l’angle de l’avenue Aviateur Goulette et l’un d’eux vient à ma rencontre : c’est un infirme et j’ai un haut-le-cœur car je pense reconnaître un de ceux que gamin j’avais pris en sympathie. Je lui donne un billet de 10.000 FMG (une misère pour moi de quoi se nourrir pendant quelques jours pour lui) et il n’en revient pas. Je m’éloigne vite car j’écrase une larme. Je me retenais depuis hier mais je suis trop ému et ça me fait du bien. Pendant mon séjour à chacun de mes passages suivants j’ai fait ainsi ma « Bonne Action » et sa joie en me voyant arriver était un merveilleux cadeau.

Mon pousse-pousse suit de loin mon manège et rassuré de me voir il s’arrête devant la bijouterie LILHADAR. Un vigile est posté à l’entrée car des attaques ont eu lieu en ville. J’entre dans la boutique et 3 hommes discutent derrière le comptoir. Je me présente et je demande à voir le bijoutier. Ce sont ses 3 garçons. Ils disent me reconnaître, pas moi. L’un d’eux va chercher leur père qui bien sûr a beaucoup vieilli. Il a perdu la vue en partie et quand je lui parle de maman je sens qu’il a la larme à l’œil car c’est sa jeunesse qui lui revient.

A la sortie je découvre que le cinéma RIO (ex BELGODERE) est devenu  un magasin d’appareils électroménagers où tout s’achète à crédit ; des remboursements par semaine y sont  même possibles ! Les malgaches s’y bousculent pour s’y endetter en achetant postes de radio, télés et aussi des bicyclettes. Ils y dépensent parfois en quelques instants le salaire mensuel qu’ils viennent de toucher.

Je quitte dégoûté ce lieu où la société de consommation fait des ravages et je me précipite chez ABDALLAH AWAD dans la rue à côté car je meurs d’envie déguster une glace au coco. Depuis 35 ans j’ai l’impression que rien n’a changé :

-  l’arrière boutique est toujours là, un peu limite question propreté,

-  les chaises et les tables en formica bleu sont toujours les mêmes,

-  la glace est encore servie dans des verres transparents,

-  le ventilateur au plafond n’a pas rendu l’âme.

-  et surtout le goût de la glace au coco est toujours le même.

Seul le caissier a vieilli. Il m’affirme qu’il se souvient très bien de moi (il faut dire que mes copains et moi nous étions de bons clients) mais je pense qu’il n’en est rien. Pourtant c’est lui qui me parle du SPORT-CLUB et de l’équipe de Basket. Je suis aux anges. Un autre client rentre dans la boutique : c’est un fils RABONARIVELO le grand frère de GAGA mon ami de toujours avec lequel j’ai partagé une chambre à la cité universitaire à TANANARIVE. Il était venu me voir à PARIS il y a quelques années. Je lui avais permis de retrouver un de ses amours d’enfance avec laquelle il avait passé quelques jours avant de repartir à MADAGASCAR… pour y décéder 2 mois plus tard. Son frère me donne quelques adresses pour retrouver d’autres copains et je repars en direction de l’hôtel JOFFRE. Il a terriblement vieilli et devant sa terrasse des vendeurs de souvenirs font de la retape toute la journée.

L’un d’eux me poursuit jusqu’au bar « ADAM et EVE » qui a été bâti par les frères BAGHATTE dans leur cour. Mais ils ont dû couper le magnifique litchi qui occupait cette place. « Souris » le footballeur doué, qui était le  buteur de l’INDIENNE le club rival du SPORT-CLUB, m’accueille à bras ouverts et me demande des nouvelles de Néné mon cousin et de Vivi mon beau-frère qui étaient pourtant ses rivaux d’alors. Je lui achète des sambos car c’est là désormais qu’ils sont les meilleurs puis je profite de l’arrivée d’un autre client pour m’évader car je sais que j’ai encore pas mal de lieux à visiter.

Je remonte dans mon pousse- pousse et son conducteur rigole à nouveau ; en direction des usines de la ROCHEFORTAISE on passe entre les 2 jardins :j’avais souvenance d’un monticule de chaque côté de la rue or ils sont à la même hauteur celle-ci. Je me dis que la mémoire est vraiment sélective et je décide de redescendre pour pénétrer dans celui de gauche. Ma déception est encore plus grande quand je réalise qu’il n’y a plus aucun parterre donc plus aucune fleur car même les hibiscus qui sont pourtant des arbustes ne sont plus là. Et je suis ébahi quand je constate qu’à la vue de tout le monde des « pilleurs » retirent des pans entiers de pelouse qui sont transbordés dans une charrette déjà pleine à ras bord.

J’avance en direction des entrepôts PANIANDY et je suis abattu de constater que la plupart des maisons sont au mieux en piteux état voire en ruines et pire encore certaines ont disparu, remplacées par d’affreux hangars : exit celles des FELIX, des BEKY, des BOUVET, des MONGUY... La boutique SAMONE est un boui-boui qui se présente comme étant un restaurant !! La rue qui menait vers celles des EVENOR et des GANGNANT est impraticable et aucune voiture ne doit pouvoir l’emprunter.

Et le comble c’est l’état de la route : à hauteur de la rue de la réunion, non seulement elle cesse d’être goudronnée mais qui plus est elle se termine soudain sur l’ancienne chaussée… à 50 centimètres en contrebas !!! Il n’a pas beaucoup plu cette nuit et le dénivelé est visible mais après les fortes averses rien ne doit signaler ce fossé et j’imagine les accidents potentiels.

Mais j’ai hâte de savoir dans quel état est ma maison et je m’engage dans la rue de la réunion persuadé de ne plus la revoir. La rue est un cloaque. Je retire mes savates et je m’engage pieds nus dans le lac. Mais MA MAISON est là, en piteux état mais toujours présente et occupée. A sa gauche le vieux manguier domine toujours le garage dont la porte tombe en ruine. Les tôles sur le toit sont recouvertes de parpaings pour les retenir en cas de cyclone ; à sa droite la cour des 2 litchis n’existe plus remplacée par une extension en aussi mauvais état.

Devant l’escalier je n’hésite pas à interpeller un occupant qui traverse la véranda ; Il ne comprend pas quand je lui demande si je peux visiter la cour du moins jusqu’au moment où je lui glisse un billet. Il m’ouvre le portail et le cœur serré je pénètre sur la véranda qui me paraît minuscule et je fais le tour jusqu’à l’escalier à coté de la cuisine. Je redescends les quelques marches et dans l’eau je fais quelques pas dans la cour pour apercevoir « mon manguier ». Celui-là c’est vraiment LE MIEN : je me vois encore plantant consciencieusement le noyau dans une  boîte de lait Nestlé, transférant le petit plant dans des pots de plus en plus grands et enfin me décider à le mettre en terre à l’endroit même où 35 ans plus tard j’aperçois un arbre magnifique de plus de 20 mètres.

Je suis fier de moi  et je me mets à penser à mon enfance :

-  à maman bien sûr et à mes sœurs qui me sont si chères,

-  aux poules et aux canards que j’élevais au grand dam des autres occupants,

- aux nombreux chats qui étaient d’ailleurs essentiellement des chattes lesquelles venaient         mettre bas sur nos draps,

- à notre cuisinier, PATSY, qui avait été embauché par notre grand-mère et qui  faisait parfois aussi office de nourrice. Sa femme vivait à DIEGO-SUAREZ et il était fier de nous annoncer la naissance de « ses » enfants !!!

- aux araignées qui parfois la nuit nous courraient sur la poitrine et aux rats qui faisaient du ramdam dans le grenier,

- aux 2 litchis dont l’un avait poussé au-dessus des anciennes tinettes et dont la production était si belle,

-  aux persiennes qui faisaient le tour de la véranda pour nous protéger des regards indiscrets,

- aux mangues « maison rouge » qui, sur le plan gustatif, n’ont pas d’égal et dont la couleur était celle des toits au-dessus desquels elles mûrissaient…

Perdu dans mes souvenirs je ne réalise pas que, intrigués par mes rêveries, tous les occupants de la maison se sont groupés autour de moi et qu’ils se demandent ce que ce « vazaha » fait là.

Quand enfin je me reprends je jette un dernier regard vers la maison de LOUPY derrière le mur dont la fille Huguette partageait nos jeux et je me décide à ressortir. Une fois dans la rue, un peu choqué, je me demande si je ne vais pas m’en tenir là et vite retourner chez ma sœur.

Mais j’ai encore le courage de faire quelques mètres vers ce qu’il reste des maisons voisines : celles des GRONDIN, des FAURE, des MONNIER, des GUENNE ( orthograhe ?). J’aperçois les entrepôts de Maxime HOARAU où travaillait maman et la boutique de Mr VOLVEIX qui nous faisait crédit quand les fins de mois étaient difficiles et qui vendait des sardines en boîtes de la marque ROBERT (elles étaient si bonnes que jusqu’à présent j’ai de la difficulté à apprécier celles de nos supermarchés)….Je suis à la fois content d’être là et un peu triste de voir mon quartier dans cet état.

Puis je me dis que les choses sont ce qu’elles sont, que l’essentiel est que rien ne puisse un jour m’ôter de l’esprit cette enfance de rêve que j’y ai connue. Je réalise alors, qu’à la poursuite de mon passé, j’en éprouve aucune réelle tristesse à peine quelques regrets.

Mais il est plus de midi et il me faut rentrer. Au bout de la rue j’aperçois mon pousse-pousse et je le hèle. A travers les flaques d’eau il arrive jusqu’à moi en riant de plus en plus : il se dit que son client d’aujourd’hui est un original qui vient traîner là où désormais les autres touristes ne viennent plus.

Sur le chemin du retour je spécule sur l’itinéraire que j’emprunterai pour revoir les autres quartiers. Je me remémore :

- les noms des rues : de la Réunion, Marmet, île de France, Aviateur Goulette, de Lattre de Tassigny, du Commerce, Nationale, lieutenant Noël, Lagougine,…Toutes elles ont gardé le nom qu’elles avaient dans mon enfance.

- ceux des ruelles : la ruelle Papin qui débutait rue de la Réunion entre les maisons des PAULET et de Mme de SUMERA et qui finissait rue Lagougine sur celle des LACOUTURE, la ruelle qui menait chez les GEORGET et celle qui conduisait chez Hilda DURAND et les VIGOUREUX... 

-  ceux des places : de la Colonne, Bien-Aimée, Mazavy…

Tous ces lieux étaient le théâtre de nos réunions entre amis et de nos jeux et notamment des parties de cache- cache en bicyclettes dans le dédale des rues à angles droits si caractéristiques de la topographie du vieux TAMATAVE…

Je me demande quelles sont les rues que je vais prendre et dans quel sens ? Quelles places vais-je visiter ? Toutes bien sûr je ne pourrai en manquer aucune !!!

J’ai hâte de tout revoir et je suis heureux.

LA VISITE DES AUTRES QUARTIERS :

Ce matin je me suis levé de bonne heure : je suis pressé de poursuivre ma visite non terminée hier.

J’ai donné rendez-vous à mon pousse à huit heures trente et il est temps que j’aille à sa rencontre. Il est déjà là et quand il me voit il sourit ;

Cette fois j’ai décidé de passer par la plage et au rond point de la maison de retraite je lui demande de filer tout droit. Depuis hier, tout comme les litchis dans la cour de ma sœur, j’ai l’impression que les flamboyants sont plus rouges. Il faut dire qu’il a plu toute la nuit et que ceci explique peut-être cela. Soudain une percée dans la voûte des flamboyants me permet d’apercevoir un drapeau qui claque au vent et ses couleurs sont bleu, blanc et rouge : je découvre que le consulat de France est maintenant installé près de l’ancienne villa de Maxime Hoarau qui me paraît d’autant plus délabrée que celle des BONFILS qui la jouxte est encore en excellent état.

Arrivé sur le front de mer je me décide à faire un crochet à gauche jusqu’à l’hôpital. La sortie du canal des Pangalanes sur la mer est complètement bouchée et le mess des officiers a disparu. Quant à l’hôpital il me semble en ruine. Il m’a été dit que les malades doivent apporter draps, alcool, coton, que la famille doit chaque jour apporter leur nourriture, qu’il vaut donc mieux éviter d’y aller….

Avant la pointe TANIOT la route devient chaotique et le phare a disparu emporté par un cyclone. Pourtant  je voudrais bien voir la caserne et je fais les derniers mètres à pieds pour découvrir qu’il n’en reste plus rien ou presque sinon une petite partie de son armature en ferraille qui croule sous l’effet de la rouille.

On revient sur nos pas et repassant sur le canal je note en direction des terres qu’il est quasiment couvert de jacinthes d’eau et qu’elles sont si denses que des gamins s’amusent à marcher dessus. Je me souviens alors avoir lu qu’entre TAMATAVE et MANANJARY à plusieurs endroits la circulation n’est plus possible tant elles ont envahi les canaux !!

Plus loin la résidence du chef de province vient d’être repeinte et les villas qui se succèdent sont plutôt bien entretenues. On arrive enfin à l’ancienne maison FAKRA devenue l’hôtel NEPTUNE qui est aussi un casino et qui jouit  d’une bonne réputation. Pourtant une armée de filles fait «le tapin » à son entrée. Sur la mer je note une agitation fébrile et je devine qu’un filet de pêche vient d’être remonté. Je descends en vitesse pour m’associer aux curieux ; c’est une pêche miraculeuse et des gamins tentent de récupérer sur le sable les poissons qui passent par-dessus le filet. Dans la main de l’un d’entre eux un poisson se met à gonfler : « un bouftang » une sorte de petit poisson-lune comme ceux que, gamins, on essayait d’attraper justement pour les voir grossir sous l’effet de l’air absorbé pour ensuite l’utiliser comme un ballon ou comme un projectile à lancer sur un copain. Notre école étant en bord de mer notre cour de récréation c’était surtout la plage et, avec le ramassage des « tecs tecs » (les tellines en Provence) et des carabos (une sorte de scarabée des bords de mer), c’était là un de nos jeux préférés.

Je reviens vers la route et un individu s’approche et me propose de venir faire «un tour ».Je  m’apprête à lui dire que j’ai ce qui me faut quand il me montre un autre pousse-pousse dans lequel une fillette me sourit. Je suis écoeuré et je le lui fais savoir mais il s’en fout et repart en quête d’une autre cible.

Cent mètres plus loin grande est ma surprise de constater que l’enceinte du stade a été rehaussée d’au moins trois mètres pour empêcher la fraude. Si passer par-dessus la balustrade était autrefois assez aisé c’est maintenant impossible d’autant que des barbelés ont été posés en renfort.

Par contre, en face la piscine, qui était restée fermée pendant plus de dix ans, vient d’être ré ouverte et elle est flanquée de deux restaurant celui de gauche, plus chic, étant tenu par des …Sud-Africains !!!

J’arrive ensuite à hauteur de l’avenue de l’indépendance toujours agrémentée de son allée majestueuse de palmiers. Les bâtiments de la météo, de la SEAL (la compagnie norvégienne),

de La Compagnie Lyonnaise, d’AUXIMAD défilent tour à tour. Puis je vois le cercle que mes parents ne fréquentaient pas réservé qu’il était au gratin tamatavien. Je repense « au bambou bar » pourtant détruit alors que j’étais gamin et qui jouxtait …la mosquée toujours aussi blanche et bien entretenue par la communauté musulmane qui la finance.

Devant chaque bâtisse les souvenirs m’assaillent et je pressens que mon cœur battra bientôt très fort car j’arrive à hauteur de mon école SAINT-JOSEPH. Je me précipite vers les classes : elles sont bourrées d’enfants et ils sont très étonnés de me voir passer. Presque toutes les vitres sont brisées. Soudain un gamin sort en courant d’une des classes, se précipite sur  la cloche encore en place et se met à la faire sonner. Rien n’aurait pu autant me faire plaisir et j’écrase une larme de joie. Je me souviens alors  que « de mon temps » c’était ROGER qui avait cette charge et s’en acquittait avec fierté.

Devant chaque classe je soliloque et je remonte le temps : la  douzième, la onzième,..jusqu’à la septième au rez de chaussée. Je monte les escaliers : la sixième, la cinquième…jusqu’à la première à l’étage. Fréres Michel, Robert, Léon, Luc, Justin, Nivardo, Alfred, Gaston, Landéol, Clément, Emile…nos instituteurs. Idem pour nos professeurs : Ignace dit « Balabale », Jean que l’on surnommait Babeuf comme ce révolutionnaire qu’il admirait, Léonard qui nous faisait aussi chanter à l’église et Joseph le dernier directeur que l’on ait connu avant d’être dans l’obligation de rejoindre le lycée, notre pire ennemi, pour y faire notre terminale…

Pour toute notre génération les frères des écoles chrétiennes ont beaucoup compté. Et si j’ai oublié le nom de certains d’entre eux JAMAIS je n’oublierai tout ce que je leur dois.

La cour de récréation, elle, me paraît minuscule et le portique, s’il est encore debout, tient par miracle. Derrière je situe l’endroit où était installé « le caboulot » où on achetait le « pain pâté ». Je foule le terrain de volley et arrivé sur celui du basket je me place sous le panneau.   Je ferme les yeux et je revois ces matchs où  il me fallait compenser ma taille par mon adresse au tir et ma foi je me dis que je me débrouillais plutôt bien…

De l’autre côté de la rue du commerce les arcades croulent sous le poids des ans et je repense à BABA CRESCENCE la coiffeuse, infirmière, cuisinière qui savait et sait encore tout faire et qui est ma seconde maman.

Je me dirige vers l’église et je découvre que sous l’immense banian il n’y a plus la croix et qu’un mur barre l’entrée de l’école des sœurs.

 J’entre dans l’église par la petite porte sur le côté et je suis à nouveau déçu de la découvrir aussi petite. Mais elle est bien entretenue. En remontant l’allée centrale je lève les yeux vers l’orgue de la tribune et je me rappelle que pour la faire fonctionner il fallait « pomper » à tour de rôle. Frère Landéol l’organiste attitré ! il faudrait un roman pour raconter toutes les « histoires » que ce nom évoque dans les mémoires de tous les élèves qui sont passés sous sa coupe : ma sœur la  brise, casse-cou jusqu’à bambou bar, firy fautes (combien de fautes, la question qui tue après la dictée)….les initiés comprendront. 

 

Je ressors  de l’église côté mer par le grand escalier et je m’époumone à héler mon pousse qui s’inquiète de ma disparition depuis au moins une bonne demi-heure. Il arrive en courant … et en riant.

Je traverse la chaussée et par la plage je me rends au club nautique. Toutes les installations ont été maintenues. Mais la plage s’est agrandie. Maintenant on peut même pénétrer dans le port la plage débordant largement la barrière qui nous en interdisait l’entrée autrefois.

Quant aux bateaux du môle C ils sont si proches qu’un jet de pierres pourrait les atteindre et d’importants travaux de dragage sont régulièrement nécessaires pour empêcher un ensablement total. Mais il s’agit d’un problème endémique car déjà quand j’étais enfant j’allais voir « travailler » les deux dragueuses en fonction autrefois. Et je ne sais plus pourquoi on les avait dénommées respectivement « nenène » (la nurse) et « zazakely » (l’enfant) et il ne serait pas étonnant qu’elles soient encore en fonction.

Mais le temps passe et presse et remontant dans mon « véhicule » je voudrais bien accélérer la cadence. Mais la route qui longe la barrière qui enserre le port est complètement défoncée et inondée et mon « conducteur » a  de l’eau à hauteur des genoux et il peine à avancer. Au rond point devant l’entrée du port c’est le bouquet : c’est midi et les manafo (dockers) rentrent chez eux. Par centaines ils quittent l’enceinte en pataugeant dans un lac au milieu :

    • des camions qui font la queue pour entrer dans le port,
    • des bicyclettes qui doivent être poussées tant l’eau est haute,
    •  et… de dizaines de pousse-pousse qui attendent probablement la sortie des marins car un gros bateau a accosté ce matin et ils n’ont plus le droit d’aller les récupérer à la passerelle comme autrefois.

Pour rejoindre le début de la rue de la réunion c’est l’horreur. C’est un lac qui s’étend  devant la cité du port et pour le traverser j’ai tout le loisir d’observer les villas où ont vécu les LAVICTOIRE, mes cousins et plus tard mon copain Jean-Pierre SCHWARTZ et Monique PONTIOT.

Mais si je pensais avoir fait le plus dur  je ne suis pas au bout de mes surprises : la rue de la Réunion me semble être le lit d’une rivière dont le courant mène l’eau en direction de la place Bien-Aimée. Je tente de situer les maisons créoles que je fréquentais : celles des SERTIER, de Geneviève MAILLOT, des EVENOR, des CLEF où maman a vécu quelque temps, des  BAZEILLAC enfin celle de Denise MAILLOT et pour la plupart elles ont disparu, remplacées par des baraques recouvertes de tôles rouillées et parfois même de falafa (feuilles de ravinala). J’en pleurerais.

En arrivant place Bien-aimée je crains le pire : on m’a dit qu’elle était devenue un dépotoir. Mais elle a été nettoyée…ou presque. Je décide d’en faire le tour. Les Banians sont majestueux et je regrette de ne pouvoir aller me suspendre aux lianes comme autrefois.

Mais elles sont toujours là et je souris : en effet je me souviens  que j’avais eu le tort de m’en vanter auprès de mes cousins plus âgés et ils m’avaient affublé du surnom de « Johnny la fesse muller ». De l’ancienne BNCI il ne reste que les poteaux en ferraille et à sa droite sur un mur je devine un mot magique  KIRAVI : l’affreuse bibine qui se prenait pour du vin !! De l’autre côté vers le « bar de la marine » des gargotes se sont installées au bord de la route et les premiers dockers  s’y arrêtent pour déguster des « mofo gasy » (sorte de pain à la banane) et des beignets dont l’odeur embaume toute la place.

Cette fois ce sont les maisons des RICARD, des DURAND et des VIGOUREUX, des PAULET, De Mme de SUMERA que je tente de resituer. La ruelle Papin qui mène chez les LACOUTURE via les maisons des ENSEL, des LACORDAIRE  et des CHAN-KIN est bien entendu impraticable et devant la boutique CHAN-WING je demande à tourner à droite pour revoir la place Mazava (nom tiré de celui du quartier : AMPASIMAZAVA). Autant la place Bien-aimée, même enlaidie, était reconnaissable autant j’ai l’impression de découvrir un nouveau territoire inconnu dans ma mémoire : je vois une plaine qui me paraît minuscule, avec bien entendu plus aucune fleur ni pelouse, sur laquelle picorent des poules, broute une vache et où même un cochon semble chez lui.

Je contourne par la gauche cette place qui était autrefois un magnifique jardin ; je le  traversais quatre fois par jour pour aller et revenir de l’école matin, midi et soir, et je suis effondré. La bureau de Maître NATIVEL devant lequel flotte un drapeau semble devenu un consulat et la rue Lagougine est, elle aussi, inondée. La maison de Mlle HOAREAU qui nous donnait des cours de rattrapage pendant les vacances n’a presque pas bougé mais pour l’essentiel elle était en « dur ». Je reviens devant le CCC (l’école créée par le père ELHORGA) et je retrouve la rue de la Réunion au droit de la maison des LEYRITZ. Je peste encore car la vigie 5 sur la place est devenue un mpivarotra (boutique).

Au loin j’aperçois à nouveau ma maison et je décide de ne pas y retourner mais de filer à droite vers la place de la Colonne. Si la stèle au milieu de cette dernière est encore debout elle est devenue un poteau en pierre qui émerge au milieu des « Bozaka » (de la broussaille) ; Un panneau annonce qu’une association d’anciens de TAMATAVE ( ?) va bientôt la restaurer et elle en a bien besoin.

De l’autre côté de la rue c’était le Garage de Mr TYACK et sur un mur on devine les mots « voitures FIAT ». Mais que dire des maisons qui entourent ce qui reste du jardin : celle du tailleur Mr BENARD rasée ; celle des LE HOUSSEL rasée ; et les autres maisons plus loin rasées !!! Autant la veille, en dépit des dégâts constatés, j’étais malgré tout heureux autant aujourd’hui c’en est trop et je ne peux plus supporter d’en voir davantage.

Dans un dernier élan de courage je me décide de remonter jusqu’à la rue du commerce puis après un coup d’œil sur la rue Aviateur Goulette j’emprunte la rue de l’école chinoise. Elles sont toutes défoncées et je suis content de rentrer.

Pourtant tout au long du chemin du retour je me raisonne, je fais la part des choses et je finis par me satisfaire de ce bain de jouvence que je viens de prendre. Perdu dans mes pensées je me dis que malgré mes déconvenues successives c’est tout mon passé qui  ressurgit. Tous les bons souvenirs reprennent alors le dessus et chaque évocation en appelle une autre.

Et je réalise à nouveau que ce que je savais déjà : rien au monde ne pourra jamais m’ôter de la tête ma maison, mon école, mes copains, les parties de cache-cache à bicyclette, les cours où selon les saisons on allait voler des mangues, des litchis et des jujubes, les parties de basket au Sport-Club….

Tout se bouscule dans ma tête mais je sais que ma jeunesse puis mon adolescence sont deux trésors que je dois à la ville de mon enfance, à TAMATAVE si chère à mon cœur.

LA VISITE DU MARCHE :

Le Bazar Be ! (Le grand BAZAR). Cela fait 2 jours que je suis arrivé et je me dis qu’il est urgent d’y aller. Cette fois c’est ma sœur Josette qui m’emmène en voiture et elle a pris le parapluie car le ciel est menaçant.

On se gare sur le boulevard Joffre et soubiques (paniers) et parapluies à la main on s’y rend ; Il nous faut avant tout décourager les gamins qui se proposent de « garder » la voiture.

La première halte est pour les boutiques d’artisanat local et les «mpivarotra » regorgent de souvenirs entassés pêle-mêle : broderies, sculptures, soubiques, voitures faîtes à partir de boîtes de conserve….

Bien entendu tout se marchande, ce que je déteste, et il faut presque diviser les prix annoncés par deux. Malgré la qualité qui laisse parfois à désirer j’ai envie de tout acheter. Ma sœur me précise qu’il vaut mieux « regarder », me faire une idée des prix et de ce dont j’ai envie, et de revenir car les marchands vous reconnaissent et la « négociation » en est facilitée. 

On traverse la rue sous la pluie qui s’est mise à tomber en trombes pour pénétrer dans le marché côté boucherie. Profitant de l’eau du ciel un boucher est en train de laver de la viande dans le caniveau. Josette est horrifiée mais cela me fait sourire et je lui fais remarquer que l’eau de pluie  est sans doute plus propre que celle dans les seaux sur les étals qui sert au même usage. En effet la pluie a probablement énervé les mouches et elles sont si excitées que pour les chasser les bouchers arrosent leurs marchandises avec des Kapoakas d’eau (boîtes de lait Nestlé vides) tout en agitant fébrilement des queues de bœufs pour les repousser.

Puis on arrive aux fruits et légumes et mes yeux ne sont pas assez grands pour tout regarder. C’est magnifique et je suis extasié de voir la quantité de marchandises. En les voyant certains noms en malgache me reviennent : mananasy (ananas), brèdes mafany (base du Romazava plat national malgache), chouchous (chayottes), akondro (bananes), avocats, manioc… Mais s’il y a des mangues il n’y en a pas de la variété « maisons rouges » de loin la meilleure. C’est encore trop tôt et le marchand m’en promet pour…bientôt. Il n’y a pas non plus de voasary (oranges) mais je sais que leur saison c’est dans quelques mois. On nous propose aussi des Akoho (poulets) vivants. Les malheureux sont suspendus, pattes ficelées et tête en bas, en attendant…qu’elle soit tranchée.

Mais Josette n’est pas venue pour s’extasier et je lui propose qu’elle m’accorde 10 minutes pendant qu’elle fait ses courses.

Un rendez-vous fixé je me dirige vers l’entrée opposée vers les arcades de l’autre côté de la rue. Pour rejoindre celles-ci je longe les gargotes où les marchands viennent déjeuner.

Je constate que si du riz est proposé il y a aussi souvent au menu …de la soupe chinoise : le prix du riz ayant tellement augmenté les plus pauvres se rabattent sur les pâtes qui coûtent beaucoup moins cher. Quand on sait combien le malgache aime le riz on imagine dans quelle situation est le pays !

Puis je traverse la poissonnerie où il y a peu de poissons mais pas mal de crevettes vendues « au tas » et des crabes de palétuviers. J’en achète car ils me paraissent bon marché ; le poids comprend autant de boue que de crabes ce qui en double le prix. Il n’y a pas de petits profits !

Je traverse la rue encombrée de marchands de CD et je tombe sur un coiffeur : l’ex atelier de Mr MAFFRE ? Je repense alors à deux anecdotes qui ont fait le tour de la ville et qui l’ont rendu célèbre :

  • la première narre celui-ci précisant à ses clients que « dans tout MADAGASCAR il n’y qu’un seul MAFFRE : mon frère et moi !!
  • la seconde encore plus « délicieuse » concerne sa mésaventure avec une « demoiselle » (dont je tais le nom mais tous les anciens la connaisse) qu’il avait traînée au tribunal. Le président  ayant demandé à celle-ci : reconnaissez vous avoir mordu les testicules de Mr MAFFRE ; elle lui avait alors rétorqué : testicules ? testicules ? Une merde moi la morde son graine !!!

Je cherche ensuite à situer l’ancien garage D’UNIENVILLE. C’était en fait un garage à vélo car il en avait déjà beaucoup. Il était tenu par le père à Kiki un boulliste hors pair, tireur d’élite coéquipier de Mr de LA GIRODAY et de ???. Ils ont longtemps dominé ce sport non seulement à TAMATAVE mais dans toute la Grande île voire dans l’Océan Indien.

Mais cette évocation des bicyclettes me ramène à ses deux concurrents :

-   Mr GERLY encore une célébrité pour différentes raisons et grand amateur de chevaux,

-   et les BOFF dont les fils Gaétan et Baba étaient mes amis.

Et ce dernier nom m’amène à Marie-Louise BOFF, leur cousine, ma copine d’enfance qui était capitaine de l’équipe de Basket féminine du SPORT-CLUB. Je l’ai rencontrée hier et cela m’a causé bien de la peine : devenue « poivraude » et presque clocharde elle traîne dans les rues de TAMATAVE en interpellant les passants. Mais quand je suis allé l’embrasser elle m’a aussitôt reconnu et demandé des nouvelles de « colo » (ma sœur et sa partenaire), de « vivi » (le mari de celle-ci) et de « Néné » (mon cousin leur entraîneur). Les larmes aux yeux elle a aussitôt retrouvé ses esprits et reconstitué sans problème mes liens familiaux ce qui prouve qu’elle n’est peut être pas aussi « cinglée » que l’on en dit. Par contre elle m’a aussitôt demandé de lui  offrir une bière et attablée à la terrasse de l’hôtel JOFFRE elle se sentait fière de se trouver à mes côtés ce qui était une façon de faire un pied de nez à ses détracteurs. Mais dès le premier verre avalé son esprit s’était très vite égaré et ses propos étaient redevenus quasi incompréhensibles. L’alcool avait repris le pouvoir.

Perdu dans le souvenir de cette rencontre j’arrive devant chez MONG TIONG l’importateur de bibelots chinois dont la vitrine est quasiment vide et je traverse pour me retrouver devant la boutique de CHAN KIVE.

Mais les dix minutes accordées par ma soeur sont déjà écoulées et il me faut me rendre sous les arcades devant l’ex pharmacie MONDY où elle m’attend .Là se trouve ce que je recherche : un marchand non pas de rêves mais de « songes » des racines grosses comme des pommes de terre et dont la chair violette, une fois cuite, est pour moi un régal au petit déjeuner lorsqu’on la déguste avec du beurre salé. Josette m’attend mais le vendeur n’est pas là.  Je suis déçu mais je reviendrai mon envie est trop forte !

Pour rejoindre la voiture il y a encore cent mètres à parcourir les soubiques chargées de provisions. Des gamins se proposent cette fois de nous servir de porteurs et ils sont si collants qu’il me faut presque me fâcher pour les repousser. Mais je m’en veux aussitôt et aux plus petits je glisse les pièces sans valeur qui sont lourdes dans ma poche. Ils sont pourtant ravis.

 Arrivés sur le boulevard JOFFRE il y a un immense trou au milieu du carrefour et je m’étonne de ne pas l’avoir vu quand j’y suis déjà passé. Mais Josette me précise que « tout » TAMATAVE le connaît et que le danger ce sont ceux, moins connus, situés dans des rues moins passantes et où les mauvaises surprises sont parfois au rendez-vous.

Josette fait encore quelques courses chez son «  chinois » à l’angle de la rue pour y acheter de la THREE HORSE BEER, la THB dont les zanatany ont un si bon souvenir. Elle a un coup au cœur quand le commerçant lui demande si je suis son fils et celui-ci mesure à peine l’incongruité de sa question quand elle lui précise qui je suis.

Il faut encore qu’elle aille chez le boucher récupérer un filet de bœuf et j’en profite pour retourner chez THIA TONG faire une provisions de vivilles et de chocolat ROBERT pour en ramener à mes amis d’enfance qui en seront si contents.

Et il faut enfin rentrer. Les soubiques sont lourdes ; les courses ont été effectuées en fonction de mes goûts : ma sœur aime faire plaisir à son petit frère ! Je jette un coup d’œil sur leur contenu et je me régale à l’avance des crabes, des chouchous, du romazava et de tous ces bons petits plats qui m’attendent pendant mon séjour.

Je me dis que malgré le découragement, finalement passager, ressenti la veille TAMATAVE  a quand même du bon  et je me régale à l’avance.

Vivement qu’on passe à table !!